SAAGARA

3

Glitterbeat/tak:til - octobre 2024

Chronique

Le troisième album de Saagara, simplement intitulé 3, marque un nouveau chapitre fascinant dans la collaboration entre le producteur et multi-instrumentiste polonais Wacław Zimpel et quatre musiciens de la tradition carnatique du sud de l’Inde. Ce projet, né d’une rencontre entre Zimpel et le maître percussionniste indien Giridhar Udupa, s’impose comme un véritable dialogue entre des rythmes millénaires et une électronique à la fois organique et futuriste.

Pochette de l'album "3" par Saagara

Dès les premières notes, l’album déploie une richesse sonore hypnotique, où les percussions indiennes – khanjira, ghatam, thavil – et les harmonies du violon carnatique sont à la fois soutenues et réinventées par des séquences électroniques élaborées. Zimpel, dont la maîtrise des textures minimalistes et sonores a évolué à travers ses collaborations avec des figures de la scène électronique comme James Holden ou Sam Shackleton, pousse ici son exploration dans des territoires où l’on ne distingue plus la frontière entre l’acoustique et l’électronique.

L’album 3 se démarque par sa dynamique pulsante, bien plus propice à la danse que ses prédécesseurs. On y trouve des pistes où le rythme prédomine, notamment dans le titre d’ouverture ‘God of Bangalore‘, où les percussions indiennes, magnifiées par les techniques de production modernes, se fondent en une symbiose saisissante avec des beats post-club et des drones profonds. Les compositions n’invitent pas à la simple contemplation, mais plutôt à une immersion dans un flux sonore continu, qui brouille les repères temporels et stylistiques.

C’est là toute la force de Saagara : fusionner des traditions millénaires avec une approche électronique innovante, tout en parvenant à créer une musique qui dépasse les étiquettes culturelles. L’utilisation du plugin Humanizer, offert par James Holden, permet de synchroniser de façon presque surnaturelle les rythmes organiques des percussions carnatiques avec des séquenceurs électroniques, éliminant toute frontière entre les deux mondes. L’écoute devient alors une expérience envoûtante où l’on ne sait plus si l’on entend un ghatam modifié électroniquement ou un synthétiseur imitant les rythmes complexes du konnakol.

Si 3 reste fidèle à l’essence de la musique carnatique – cette tradition ancestrale qui transporte l’auditeur d’un état de conscience à un autre – il s’en éloigne subtilement par son traitement moderne, flirtant avec des territoires encore inexplorés. Zimpel parle lui-même de ‘folk interstellaire‘ pour décrire cette fusion, un terme qui capture parfaitement l’ambition du projet. Chaque morceau est un voyage, une passerelle entre l’intime et l’universel, entre la terre et les étoiles.

Cet album, véritable œuvre de studio, démontre également la capacité de Zimpel à déconstruire et remodeler les sons traditionnels. Loin de simplement superposer des éléments acoustiques et électroniques, il crée un tout organique, où chaque élément se nourrit des autres pour former un ensemble cohérent et profondément immersif. En cela, 3 est une invitation à repenser la notion même de tradition musicale, non pas comme un socle figé, mais comme une matière vivante, en perpétuelle transformation.

Mais au-delà de l’énergie brute et des rythmes captivants, cet album brille aussi par sa complexité. Saagara ne se contente pas de juxtaposer des éléments électroniques et acoustiques ; ils les réinventent ensemble pour créer une entité sonore unique. Les compositions semblent naviguer dans un espace indéfini, où il devient difficile de distinguer l’origine des sons, tant la fusion est aboutie. Chaque morceau est une quête, un territoire sonore où tradition et modernité se superposent sans heurt.

En s’inscrivant dans la philosophie musicale du ‘Quatrième Monde‘ chère à Jon Hassell, Saagara parvient à brouiller les lignes entre les genres, offrant une vision musicale profondément universelle, où les cultures et les époques se rejoignent dans une même pulsation. C’est cette capacité à réinventer, à ne jamais se répéter, qui confère à cet album une profondeur rare. Comme le dit Zimpel, ‘refaire la même chose n’est pas quelque chose que je peux tolérer’, et cela se sent : 3 est un album qui surprend à chaque écoute, ouvrant de nouvelles pistes d’exploration sonore.

En définitive, 3 est un disque qui bouscule, qui dérange parfois, mais qui ne laisse jamais indifférent. Entre minimalisme électronique et virtuosité rythmique, il propose une expérience immersive où chaque note, chaque battement résonne comme une invitation à repenser notre manière d’écouter et de ressentir la musique.

Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !

A propos de WACLAW ZIMPEL

Wacław Zimpel, multi-instrumentiste et producteur polonais, est un véritable explorateur sonore. Surnommé ‘caméléon musical‘, il fusionne jazz, électronique et traditions mondiales pour créer des œuvres aussi audacieuses que captivantes. Son parcours s’étend du free jazz à des compositions électroniques novatrices, utilisant clarinettes, synthétiseurs et instruments rares comme le khaen. Avec des albums tels que Train Spotter et Massive Oscillations, Zimpel façonne des paysages sonores immersifs où se brouillent les frontières entre acoustique et technologie, tradition et expérimentation.

Photo de l'artiste Waclaw Zimpel

Solénothèque

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