Par-delà les constellations et les abysses, une musique lente et viscérale fait naître un monde. Le nouveau solo d’Ingrid Obled, ‘Le Chant des Baleines Stellaires’, est un archipel sonore où les galaxies bruissent de vie marine et les abysses chantent des sagesses venues d’ailleurs.
On entre dans cet album comme on glisse dans un rêve liquide. Dès les premières notes de ‘Les gardiennes du temps‘, le souffle du nyckelharpa ouvre une brèche dans la réalité, entre les fibres du silence. Là, suspendus dans l’épaisseur bleue du son, apparaissent les baleines — non pas les cétacés de nos océans, mais leurs sœurs stellaires, incarnées par les archets d’Ingrid Obled. Elles chantent sans mots, en fréquences d’âme. Elles émettent des codes que chacun entend selon sa propre constellation intérieure.
Formée au conservatoire, primée en composition électroacoustique, Ingrid Obled a toujours préféré les marges fertiles aux sentiers battus. Avec ses loopers et ses instruments traditionnels — nyckelharpa suédoise, contrebasse — elle explore des continents sonores inouïs. Mais ici, elle ne se contente pas d’expérimenter. Elle métabolise les matières sonores pour en faire un souffle, une mémoire. Ce n’est pas de la musique au sens conventionnel du terme : c’est un espace, une expérience vibratoire, une cartographie de l’invisible. Dans le morceau ‘Dans l’architecture du temps‘, que l’on pourrait croire écrit pour une cathédrale immergée dans l’espace intersidéral, chaque note agit comme une stèle. On ne sait plus si l’on est dans une nef romane, un vaisseau spatial ou dans les synapses d’un souvenir. Ingrid y détisse le temps, joue avec ses courbes, ses silences, ses résonances.
Il est important de noter que ces chants de baleines ne sont pas des enregistrements animaliers. Ils sont créés de toutes pièces par Ingrid, à la main, à l’archet, à la pédale. C’est là que réside une forme de magie : l’illusion acoustique est totale, mais elle ne vise pas l’imitation — elle réinvente une espèce sonore. Comme un peintre inventerait une espèce céleste jamais observée mais ressentie. Le morceau final, ‘Stellar Whales‘, existe en deux versions — celle du CD, pleine et orchestrale, et celle numérique, dépouillée jusqu’à l’os, entièrement tissée de contrebasse. Deux lectures d’un même mythe. Comme si l’on pouvait contempler un être de lumière de jour ou de nuit, en projection ou en introspection.
Obled ne compose pas pour nous séduire mais pour nous traverser. Ce qu’elle propose ici, c’est une musique-miroir : une plongée dans l’instant, dans la chair de l’Univers, où chaque auditeur peut entendre une partie de soi. C’est peut-être là le cœur de son œuvre : ‘se relier aux baleines, c’est se relier à soi‘, dit-elle. Et par-delà, à ce que nous avons oublié : une conscience collective, une respiration commune entre le vivant et le cosmos. Comme dans les rêves lucides, Le Chant des Baleines Stellaires ne suit ni chronologie ni logique narrative. Il se traverse comme une grotte peinte de sons, une énigme méditative, une danse ralentie d’astres immergés.
Au Solénopole, cet album trouvera une chambre d’écho parfaite. Car cette œuvre n’est pas seulement faite pour être écoutée : elle nous écoute aussi. Elle nous donne une chance d’habiter, ne serait-ce qu’un instant, une autre façon d’être au monde. D’être dans le monde. Et c’est peut-être ce que la musique a de plus précieux à offrir aujourd’hui : la possibilité d’un monde à l’envers, ou plutôt à l’endroit — où les baleines chantent depuis les étoiles, et où, soudain, on se souvient que nous sommes faits de la même poussière, du même silence vibrant.
Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !
Ingrid Obled est une sculptrice de sons et d’ombres vibratoires. Contrebassiste de formation classique, exploratrice de l’électroacoustique, elle joue la nyckelharpa comme on convoque les souvenirs d’un autre monde. Entre forêt profonde et nébuleuse lointaine, ses compositions mêlent instruments anciens et boucles numériques pour ouvrir des brèches dans le temps. Sa musique ne se contente pas d’être écoutée : elle se respire, se traverse. Un art sensible, organique, où chaque note semble porter en elle la mémoire du vivant.