WARRINGTON-RUNCORN NEW TOWN DEVELOPMENT PLAN

The Nation's Most Central Location

Castles in Space - mai 2023

Chronique

Sur la jaquette imaginaire de The Nation’s Most Central Location, on pourrait presque lire ces mots en lettres modernes orangées, façon affiche brutaliste des années 1970 : ‘Ici commence le futur’. Pourtant, à écouter cet album incandescent de Warrington-Runcorn New Town Development Plan, on comprend très vite que ce futur-là a été bâti sur des échafaudages de rêves fissurés.

Pochette de l'album "The Nation's Most Central Location" par Warrington-Runcorn New Town Development Plan

Sous ce nom à rallonge — dont la sécheresse bureaucratique évoque d’emblée des panneaux autoroutiers en aluminium gris — se cache Gordon Chapman-Fox, cartographe sonore des utopies manquées. Avec ses synthétiseurs comme unique boussole, il nous entraîne sur des routes où la modernité s’est arrêtée sur une aire de repos, moteur fumant, tandis que l’espoir, lui, continue de clignoter au loin comme un néon récalcitrant.

Il suffit d’écouter ‘Just Off the M56 (J12)’ pour comprendre la démarche : arpèges cristallins, bourdonnements synthétiques, nappes de réverbération. La musique dessine le plan d’une cité nouvelle qui n’a jamais vu le jour. Chaque pulsation est un lampadaire orange qui s’allume sur le bitume humide d’une rocade, chaque note est un bâtiment préfabriqué à la façade couleur béton. ‘Rocksavage‘ pulse comme un cœur industriel. On y entend presque, sous les vagues de synthé modulé, le grondement sourd d’une centrale chimique ou le souffle brûlant d’un haut-fourneau. C’est beau, sombre et magnifiquement concret. Chapman-Fox ne peint pas seulement des paysages : il fait résonner le béton, le vent entre les pylônes et les vibrations d’un pont suspendu.

Derrière le son, l’idée. L’album est traversé par un thème aussi contemporain qu’historique : la fracture Nord-Sud, ces promesses politiques de « leveling up » jamais tenues, qui laissent des communautés entières suspendues entre l’hier et le jamais. Gordon Chapman-Fox le dit lui-même : ‘Quand j’étais enfant, l’avenir me semblait prometteur. Maintenant que je suis adulte, il me semble terrifiant. Et j’aimerais revenir à l’époque où l’avenir semblait optimiste. Je suis nostalgique d’un avenir optimiste’. C’est peut-être là le cœur battant de The Nation’s Most Central Location. Dans ‘London’s Moving Our Way ‘ et ‘A Brighter And More Prosperous Future’, la colère sourde se fraie un chemin à travers des nappes de synthé menaçantes. Les titres sonnent comme des slogans gouvernementaux… mais rongés par l’ironie. Un peu comme si Brian Eno avait réorchestré les bulletins d’information de la BBC sur la crise économique.

Si cet album est une œuvre politique, il est aussi éminemment sensoriel. Chapman-Fox ne décrit pas le monde : il le matérialise sous nos oreilles. Dans ‘Busway‘, l’un des morceaux les plus poignants, la mélodie flotte dans un halo doux-amer. À première vue, écrire un morceau émouvant sur une voie de bus peut sembler absurde. Et pourtant, dans ce monde où chaque station désaffectée devient monument historique, c’est d’une tendresse déchirante. C’est une musique où chaque barrière métallique, chaque dalle de béton a son histoire. ‘Thelwall Viaduct‘, quant à lui, s’étire comme le ruban de béton qu’il évoque, porté par une ligne mélodique à la fois solennelle et aérienne. On y perçoit des souvenirs de Jean-Michel Jarre, mais passés au filtre gris d’un ciel anglais, chargés d’humidité et de regrets.

The Nation’s Most Central Location est la bande-son d’un pays invisible : celui des parkings vides, des zones industrielles désaffectées, des tours à moitié rasées. Chapman-Fox met en musique les ruines du futur, ces lieux où l’utopie a laissé place au silence. Mais au lieu d’y trouver le désespoir, il y déniche des lueurs d’humanité, comme des lampadaires fatigués qui refusent de s’éteindre. Car malgré la mélancolie, l’album vibre d’un optimisme discret. C’est une œuvre qui croit encore aux rêves, même si elle sait qu’ils sont souvent bâclés dans la précipitation des politiques publiques. Et c’est là tout le paradoxe de la musique de Warrington-Runcorn : elle fait naître la nostalgie d’un futur que nous n’avons jamais connu.

Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !

A propos de WARRINGTON-RUNCORN NEW TOWN DEVELOPMENT PLAN

Warrington-Runcorn New Town Development Plan, projet musical de Gordon Chapman-Fox, marie une esthétique visuelle audacieuse à une identité sonore rétro-futuriste éblouissante. À travers cinq albums et trois EP, il fait renaître l’atmosphère du nord de l’Angleterre des années 1970-80, portée par des arpèges scintillants, des mélodies planantes et des textures électroniques vibrantes.

Acclamé par la critique et salué par des médias prestigieux comme BBC Radio 2, BBC Radio 6 ou Electronic Sound — qui a sacré The Nation’s Most Central Location album de l’année 2023 — Warrington-Runcorn s’impose comme un des projets les plus singuliers de la scène électronique contemporaine. Sa musique, à la fois immersive et poignante, traverse brutalisme urbain, nostalgie futuriste et colère sociale, et se révèle parfaite pour accompagner la construction d’un nouveau monde… ou la contemplation de l’effondrement de l’ancien.

Photo de l'artiste Warrington-Runcorn New Town Development Plan alias Gordon Chapman-Fox

Solénothèque

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