ETIENNE DE LA SAYETTE & THE WHO

s/t

Muju Records - Avril 2025

Chronique

Quatre ans après Kobugi, album qui palpitait comme une jungle électrique au cœur d’un transistor tropical, Etienne de la Sayette revient – ou plutôt, il réapparaît, à la manière d’un mirage musical – avec Etienne de la Sayette & the Wild Horses Orchestra.

Pochette de l'album "s/t" par Etienne de la Sayette & The Wild Horses Orchestra

Mais ne vous y trompez pas : ce n’est ni une suite logique, ni une simple échappée solo. C’est une transhumance sonore, un carnet de route griffonné sur des peaux de tambour, une lanterne magique bricolée dans l’obscurité d’un monde confiné.

Le Wild Horses Orchestra est une chimère. Un fantasme de musicien isolé dans les méandres d’un printemps 2020 devenu mondialement sourd. Mais quelle chimère ! Dans le silence du studio, Etienne convoque les esprits – non pas par incantation numérique, mais à la seule force de ses doigts, de ses souffles, de ses bruissements analogiques. Pas de MAO, pas de MIDI, pas de VST : un manifeste anti-technologique, un refus joyeux du prêt-à-sonner. Et pourtant, ça vibre. Ça respire. On y entend les craquements du bois, les soupirs des flûtes, le soupçon d’un piano grinçant comme un plancher de maison hantée. L’acoustique y est reine, mais pas pour faire joli : elle est sauvage, imprévisible, traversée de souvenirs d’ailleurs.

Il y a dans cet album quelque chose d’un cirque itinérant sorti d’un rêve de Fellini ou de Jodorowsky. Un carrousel de sons poussiéreux et luisants, un orphéon halluciné qui aurait fait escale dans les méandres de l’Éthiopie, avant de s’égarer dans les ruelles d’une Corée ancienne. L’harmonium, petit soldat au souffle asthmatique, devient ici un personnage principal. Un narrateur au bord de la syncope. Etienne, dompteur solitaire de cette ménagerie sonore, laisse pourtant entrer quelques chevaux amis dans l’arène : Nicolas Brémaud aux percussions à la fois subtiles et primales, et deux voix venues de mondes parallèles. D’un côté, le mythique Girma Bèyènè, géant discret de l’Âge d’or éthiopien, dont l’élégance hypnotique traverse le disque comme une caravane de minuit. De l’autre, Kang Kwon Soon, ‘trésor national‘ vivant, gardienne du chant Changga, dont la voix semble avoir été trempée dans les encres d’un temps aboli.

Le paradoxe de cet album, c’est qu’il a été fabriqué comme une maquette d’enfant – avec des bouts de ficelle, des instruments sortis du grenier, un micro et beaucoup d’intuition – mais qu’il sonne comme une œuvre d’art patiemment taillée dans le marbre du sensible. On y entend la solitude, oui, mais une solitude habitée, hantée, vivante. Une solitude de marionnettiste qui, au lieu de s’apitoyer, s’amuse à donner vie à des figures de bois et de souffle. C’est aussi grâce au mixage de Fabien Girard – complice des bons jours et des jours incertains – que cette musique s’élève comme une montgolfière dans le petit matin. Et pour habiller cette chose étrange et mouvante, il fallait bien le trait luxuriant de Ben Hito. Avec lui, chaque pochette est un monde à elle seule, un poster mental pour chambre d’ado rêveur.

Etienne de la Sayette & the Wild Horses Orchestra n’est pas un disque à écouter distraitement. C’est un abri. Une cabane dans les branches de l’imaginaire, où l’on grimpe pieds nus, oreilles ouvertes, cœur tendu. C’est aussi un pied de nez au virtuel, une ode au fait-main, à l’imparfait sublime, à la tendresse sonore. Dans une époque saturée d’artifices, de tubes calibrés et de beats algorithmés, Etienne propose autre chose : un voyage vers l’intérieur, au rythme des sabots d’un orchestre qui n’existe pas, mais qu’on entend mieux que bien des fanfares. Il ne vous reste plus qu’à fermer les yeux… et laisser les chevaux sauvages vous entraîner.

Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !

A propos d'ETIENNE DE LA SAYETTE

Passé par le Conservatoire de Caen (et ses douloureux coups de règle), Etienne de la Sayette avait tout pour devenir archéologue médiéval… jusqu’au jour où Ornette Coleman lui souffle une autre voie : celle du jazz, libre et aventureuse. Saxophoniste, compositeur, producteur, collectionneur d’instruments rares et bidouilleur de sons inclassables, il tisse depuis une œuvre kaléidoscopique où l’afrobeat côtoie les fanfares balkaniques, les claviers vintage draguent la pop coréenne, et les manuels d’éducation sexuelle deviennent matière à samples.

Du funk joyeusement foutraque (Human Beings) à l’afrojazz éthiopien d’Akalé Wubé, en passant par les rêveries électro-cinématographiques de Frix ou les chansons sans paroles de Baeshi Bang, ce musicien globe-trotteur fait dialoguer les continents comme d’autres les accords. Installé dans son studio-laboratoire peuplé de flûtes, de pianos rares et de saxophones bavards, Etienne continue à tracer un chemin singulier, curieux, audacieux — et résolument sans frontières.

Photo de l'artiste Etienne de la Sayette sur scène

Solénothèque

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