FALLEN

we are lone swans floundering in a deep river or sudden magic

Shimmering Moods Records – Mai 2025

Chronique

Par-delà les clapotis numériques du monde moderne, il est encore des artistes qui n’écrivent pas des albums, mais des fables sonores. Lorenzo Bracaloni, alias FALLEN, signe avec “we are lone swans floundering in a deep river or sudden magic” une œuvre qui ne s’écoute pas : elle se traverse, à la rame, à la dérive ou à la nage, comme on explore une rivière inconnue au cœur d’un rêve.

Pochette de l'album "we are lone swans floundering in a deep river or sudden magic" par l'artiste Fallen alias Lorenzo Bracaloni

Le titre de l’album est une énigme flottante, un haïku allongé – une invitation à s’immerger dans l’imprécis, l’impalpable. Et dès les premières secondes du morceau ‘Floundering among nymphs’, on comprend que cette immersion ne sera pas sans mystère. Une nappe atmosphérique s’étire comme un souffle venu d’arbres endormis, tandis que de fragiles craquelures électroniques vibrent à la surface, évoquant les ailes transparentes d’insectes aquatiques. Un piano distant, peut-être un souvenir, s’installe sans prévenir, guidant l’auditeur non pas vers une destination, mais vers un état d’apesanteur. C’est ici que le voyage commence : au bord d’un monde oublié.

Dans ‘Lake of forgiveness’, le deuxième morceau, la texture devient plus liquide. Les sons glissent, se superposent, s’effacent. Il y a là une mémoire de glitch, un écho lointain de Boards of Canada, mais en plus méditatif, plus organique. La musique ne cherche pas à captiver : elle murmure. On croirait entendre une prière inaudible aux dieux des lagunes, ou la confidence qu’un cygne blessé fait à l’eau qui le porte. C’est une musique de sédiments, de transparences empilées, de silences choisis.

Et puis il y a ‘Spells, rushes and teardrops’, le huitième fragment du voyage. Ici, Bracaloni s’aventure dans des paysages plus hantés. La mélodie, presque fantomatique, flotte sur un sol instable de rythmes décomposés. C’est une incantation brisée, un charme oublié que l’on récite en tremblant. Les sons évoquent des herbes folles, des reflets changeants, et des larmes tombées dans une eau qui refuse de se troubler. La magie du morceau est justement là : dans l’absence d’impact, dans cette douceur irréelle avec laquelle le monde se dérobe sous nos pieds. On flotte. On s’abandonne.

L’ensemble de l’album agit comme une métaphore sensorielle de l’errance intérieure. On pense à ces débuts de l’ambient-IDM où l’émotion primait sur la structure, où chaque son semblait avoir été capté entre deux battements de cœur. FALLEN ne compose pas dans une esthétique du ‘genre’, mais dans celle du ‘geste’. Il peint avec des sons comme d’autres avec la lumière. Et ses pigments sont faits de bruissements, de craquements, de lueurs, de mélancolies aquatiques.

Ce disque est aussi un refus. Celui de la précipitation, de la surexposition, du spectaculaire. C’est un espace de repli et d’élévation, une cabane sonore nichée dans les feuillages de l’âme. Il convoque en silence les fantômes de Lights Out Asia, Epic45 ou Near The Parenthesis, mais leur donne une respiration nouvelle, plus contemplative, moins frontale.

À l’heure où la musique électronique se démultiplie en formats, sous-genres et algorithmes, FALLEN rappelle que l’essentiel ne se décrète pas : il se ressent. “we are lone swans floundering in a deep river or sudden magic” est une carte sans itinéraire, une rêverie sans ancre. C’est un miroir tendu à notre part la plus vulnérable, celle qui cherche encore un sens dans la brume. Chaque morceau est une offrande à ceux qui savent encore écouter l’invisible. Il ne s’agit pas d’un album à “consommer”. Il s’agit d’un lieu. D’un espace secret, un peu hors du monde, où les cygnes solitaires errent encore, portés par un courant de sons limpides et imprévisibles. Et si, finalement, le rôle de l’art n’était pas de répondre mais d’ouvrir des passages ? Alors FALLEN en a ouvert un. À nous de plonger.

Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !

A propos de FALLEN

Sous le pseudonyme de FALLEN, Lorenzo Bracaloni façonne une musique comme on sculpte la brume : avec minutie, patience et intuition. Ancien artisan folk sous le nom The Child of A Creek, il glisse aujourd’hui dans les eaux profondes de l’ambient, mêlant textures électroniques fragiles, souvenirs de piano, nappes éthérées et échos de nature perdue. Son univers est un sanctuaire pour âmes contemplatives, un territoire suspendu entre rêve lucide et nostalgie liquéfiée. Chaque album est un carnet de voyage intérieur, chaque morceau un souffle ténu dans un monde qui va trop vite.

FALLEN ne cherche pas à impressionner : il invite à s’attarder. À ressentir. À dériver.

Photo de l'artiste Lorenzo Bracaloni alias Fallen

Solénothèque

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