Dans les profondeurs d’une forêt imaginaire, trois silhouettes étranges avancent. Costumes sombres, instruments en main, masques d’animaux fantastiques. Ils semblent tout droit sortis d’un rêve de Bosch ou d’un film oublié de Tarkovski.
Ce ne sont pourtant pas des créatures mythologiques, mais trois musiciens bien réels : John Greaves, figure historique de la scène de Canterbury, poète-bassiste qui a traversé cinquante ans d’expérimentations indociles ; Olivier Mellano, guitariste-compositeur funambule, alchimiste sonore capable de convoquer baroque et saturation dans un même souffle ; Régïs Boulard, batteur apache, sculpteur de rythmes qui sait faire claquer l’orage comme caresser l’air. Ensemble, ils deviennent GLOYW — un mot gallois qui brille, étincelle, éclaire.
My Father Was a Tree est une clairière taillée dans le bois sombre du présent. On y entre comme dans une forêt au petit matin, le sol humide, les troncs dressés comme des colonnes, la brume laissant filtrer des rais de lumière verte. Chaque morceau est une souche où résonnent des siècles, une branche qui craque, un oiseau qui s’envole. Dès A Word – The Passing Strange, la voix grave de Greaves surgit comme une incantation, une ombre qui annonce l’orage. Les instruments grondent au loin, se rassemblent comme des nuages, et soudain les chevaux sont lâchés. La cavalcade commence : un power trio impitoyable, où la guitare de Mellano scie le ciel et la batterie de Boulard martèle la terre. Puis, inattendu, vient Un Bout de mon Cœur : une chanson d’amour en français, vénéneuse et belle, qui se love dans un shoegaze lancinant. Ici, la langue devient sève, le mot devient caresse, et l’électricité se fait poison doux. Mais la clairière s’assombrit à nouveau : Kew Rhone is Real surgit comme une transe tellurique, une réponse à l’album-culte que Greaves signait cinquante ans plus tôt. Chaos joyeux, transe irrégulière, transe qui chancelle mais ne tombe jamais. Le free rock prend ici le visage d’une créature indomptée, qui danse sur un sol fissuré.
The Sky is Blue arrive comme un bain de lumière, une suspension bleue, limpide, en apesanteur. Mais déjà le titre éponyme, My Father Was a Tree, ramène des échardes dans la chair : fable de Peter Blegvad, souffle débridé et lyrique, morceau qui concentre l’âme entière de GLOYW. Puis vient Englyn I’r Gal, ode galloise médiévale et irrévérencieuse, où les asymétries rythmiques vacillent à chaque mesure sans jamais s’écrouler. Boulard y frappe comme s’il déstabilisait les lois de la gravité. Chaque morceau convoque une figure. René Daumal dans Les Dernières Paroles du Poète, où la batterie martiale impose sa sentence ; un blues rugueux avec John’s Blues, qui répond à la question : peut-on encore faire du blues au XXIe siècle ? Oui, si c’est pour le tordre, le malaxer, l’électriser. Puis l’ombre de John Lennon se dresse dans Working Class Hero, repris comme une transe tribale, brute, sans fioritures, toujours d’actualité comme un graffiti sur un mur de briques. Enfin, le voyage s’achève avec The Drunken Boat. Le poème de Rimbaud, traduit par Beckett, devient ici une longue houle hypnotique. La tempête se calme sans jamais s’éteindre, le disque s’éteint dans une lumière crépusculaire, comme une barque qui dérive au-delà des rives visibles.
Si l’on écoute attentivement, on entend dans GLOYW la réunion de trois continents sonores : chez Greaves, la mémoire incorruptible de la scène de Canterbury, l’esprit ludique, l’obsession de la poésie ; chez Mellano, une écriture baroque et volcanique, l’énergie d’un orchestre symphonique canalisée dans une guitare incandescente ; chez Boulard, le grain unique d’un batteur reconnaissable au premier coup de baguette, équilibre précaire entre violence et délicatesse. Trois racines, trois forces qui, au lieu de se fondre, s’entrelacent. Trois racines profondes qui nourrissent un même tronc, une même sève incandescente. Leurs énergies ne s’annulent pas : elles s’allument, se relancent, se contredisent parfois, mais toujours pour inventer une route cabossée, drôle, tragique, éclatante.
Alors, qui est ce Father Tree ? Peut-être la mémoire de la musique : ces racines anciennes qui nourrissent encore. Peut-être un ancêtre monstrueux et bienveillant, qui offre son bois pour que l’on s’y brûle. Peut-être aussi une métaphore du trio lui-même : un arbre dont le tronc est commun mais dont les branches partent dans toutes les directions, sans se soucier des règles de symétrie. Avec ce premier album, GLOYW signe plus qu’un disque. Ils offrent une traversée, une clairière ouverte dans le vacarme du monde. Une forêt où les poètes dialoguent avec les guitares, où les tragédies se rient d’elles-mêmes, où la confiance est la seule règle. My Father Was a Tree est une tempête joyeuse, un chaos fertile, une dérive qui refuse la chute. C’est un disque à écouter comme on s’enfonce dans une forêt : sans boussole, sans carte, mais avec l’envie de se perdre pour mieux se retrouver.
Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !
GLOYW, c’est la rencontre incandescente de trois voyageurs sonores : John Greaves, figure légendaire de la scène de Canterbury, Olivier Mellano, guitariste-compositeur funambule entre baroque et rock incandescent, et Régïs Boulard, batteur apache au jeu reconnaissable entre mille.
Ensemble, ils ouvrent une clairière où poésie, chaos et lyrisme se télescopent. Power trio autant que laboratoire poétique, GLOYW trace une route cabossée mais lumineuse, où l’improvisation devient règle du jeu et la confiance, unique boussole.