Il y a des albums qui se contentent de remplir l’air. Et puis il y a Waiting (For joy), le premier album d’Harmonic Permanent Drive, qui semble vouloir le lacérer, cet air, pour révéler ce qu’il y a derrière : du vide, des machines en fusion, mais aussi une étincelle, une promesse, une joie minuscule mais terriblement vivante.
C’est un disque de tension extrême, où la violence et la contemplation se frôlent sans jamais se dissoudre l’une dans l’autre. À l’écoute, on est pris dans une sorte de tunnel où chaque note est un éclat de métal, chaque silence, une angoisse prête à exploser.
Tout commence par Graveyard. Et c’est comme si on plongeait la tête la première dans une fosse commune où sommeillent nos démons. Les premières secondes résonnent d’un bourdonnement grave, quasi tellurique, sur lequel viennent s’écraser des coups de batterie secs, martelés par Étienne Gaillochet comme autant de signaux d’alerte. La guitare d’Éric Martin cisèle des riffs tranchants et stridents, semblables à des éclats de verre sous lumière crue, pendant que Syn-Anton projette dans l’espace sonore un magma électronique grondant. C’est un titre qui oscille sans cesse entre deux états : la menace pure et la suspension méditative. Il y a ce moment, vers la deuxième minute, où tout s’allège soudain. La masse sonore se retire comme une marée, laissant flotter quelques accords clairs, presque mélodiques, avant que la vague noise ne reprenne. Là réside tout le génie d’Harmonic Permanent Drive : la capacité à sculpter la violence comme un matériau malléable, à ménager des interstices lumineux dans la pénombre.
Sur l’ensemble de l’album, le groupe manie ce contraste avec une maîtrise chirurgicale. Chaque morceau est une architecture sonore complexe, à la fois rugueuse et sophistiquée. ‘The Fuckin’ Way‘ frappe comme un direct au plexus, riffs noise et vocaux à la limite de la rupture. ‘Our Living Place‘ semble flotter sur des nappes synthétiques obsédantes, laissant filtrer une mélancolie glaciale. Le morceau-titre, ‘Waiting [for Joy]‘, est un mini-mantra crépitant, d’une brièveté rageuse, où les mots sont jetés comme des coups de scalpel. Les textes, toujours réduits à l’os, parfois à quelques mots, sonnent comme des slogans existentialistes. Ici, pas de narration rassurante : Harmonic Permanent Drive balance des éclats de phrases, parfois énigmatiques, souvent tranchantes, qui s’impriment dans le cortex comme des tatouages à l’acide. Dans Holy Glory, les machines pleurent, les voix implorent, et les guitares tracent des croix de feu dans le ciel. Une montée digne d’une apocalypse mystique. Enfin, The World Has Stopped nous abandonne dans un monde figé. Chaque pulsation semble une menace, chaque silence un vertige. Un monde arrêté, mais vivant d’une autre manière.
Puis vient ‘Stuck In A Life‘. Et c’est une autre facette du groupe qui se dévoile : plus rythmique, presque dansante, mais toujours traversée de fêlures. Dès l’intro, la basse d’Aurélien Esquivet pulse un groove lourd, charbonneux, tandis que Syn-Anton sème des glitchs électroniques comme des étincelles sur une chaîne de montage industrielle. La batterie est nerveuse, tendue, mais laisse respirer un espace surprenant, presque pop, au milieu du chaos. La voix, à peine éraillée, répète des bribes de phrases, obsédantes comme un mantra schizophrène. On y sent un personnage coincé dans la routine, suffoquant dans la mécanique d’une existence sans sortie. Et pourtant, il y a là une énergie féroce, comme si danser sur ses chaînes était déjà une forme de liberté. Ce morceau illustre parfaitement l’idée derrière Harmonic Permanent Drive : une musique industrielle, mais profondément humaine. On y entend le bruit des machines, mais aussi les battements de cœur. On y ressent la fatigue d’un monde trop grand, mais aussi la détermination de continuer, malgré tout.
‘Waiting (For Joy)’ porte bien son nom. C’est un disque sur l’attente d’une délivrance. La joie n’y est jamais donnée, elle est arrachée à la matière brute du son. Musicalement, le quatuor maîtrise à la perfection cet équilibre entre organique et synthétique, entre le rock viscéral et les textures électroniques avant-gardistes. On y trouve des échos de 31 Knots, de Jesus Lizard, ou des climats sombres et mystiques de Coil, mais Harmonic Permanent Drive possède une identité propre : celle d’une mécanique musicale en tension permanente, où la moindre vibration a du sens. Ce disque exige qu’on s’y abandonne corps et esprit. Mais pour qui accepte le voyage, Waiting (For Joy) est une expérience d’une intensité rare, qui laisse à la fois épuisé et étrangement vivant.
En définitive, Waiting [for Joy] est un paradoxe. Ce que l’on attend ne viendra pas. Mais dans cette attente, quelque chose d’autre naît : une beauté brute, une harmonie accidentée, une permanence du cri. Car parfois, ne reste qu’un choix : transformer la désillusion en art. Et dans cette alchimie crue, Harmonic Permanent Drive s’impose non comme un groupe de plus dans la nébuleuse indie-noise, mais comme un organisme à part entière — inquiet, précis, poétique.
Harmonic Permanent Drive signe ici un album qui fait de la violence une poésie, du chaos une danse, et de la musique un acte de résistance. La joie est peut-être encore en attente… mais jamais aussi proche. Un album qui ne cherche pas à plaire. Un album qui cherche à marquer. Et il y parvient.
Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !
Dans l’atelier secret d’Harmonic Permanent Drive, quatre artisans sonores façonnent un alliage incandescent d’indie, de noise et d’indus. À la guitare et au chant, Éric Martin cisèle des riffs comme des éclats de métal, fort d’années passées à électriser les scènes avec We Insist!. À ses côtés, Syn-Anton convoque les spectres électroniques, tissant des nappes étranges nourries de collaborations prestigieuses, de la Philharmonie de Paris aux labyrinthes du noise. À la basse, Aurélien Esquivet sculpte un grondement tellurique, infusé de l’énergie brute de la scène noise parisienne. Derrière la batterie, Étienne Gaillochet bâtit la charpente rythmique, mêlant précision chirurgicale et fulgurances tribales, fruit de ses multiples aventures musicales. Ensemble, ils érigent une cathédrale sonore où chaque note, chaque silence semble animé d’une vie propre, entre chair et circuit imprimé.