Passionné d’ethnomusicologie, Antonio Testa est un compositeur qui, depuis le milieu des années 90, brille dans le champs des musiques ambient à caractère chamanique. Globe-trotteur utopiste, il place les cultures primitives autant que la nature au cœur de sa démarche artistique.
Ses productions, basées sur la valorisation de résonances environnementales, se veulent ainsi le support de synergies douces entre sources organiques et procédés technologiques. Une orientation qui le rapproche intimement d’autres maîtres du genres tels que Steve Roach et Jorge Reyes.
A ce jour, ce multi-instrumentiste italien s’est investi dans une douzaine de projets, dont la moitié sous forme d’albums solo. Par le biais de l’émission spéciale que nous lui consacrons, nous tentons de rendre hommage au talent singulier de ce percussionniste, en survolant cette formidable réserve de sons primitifs et mystérieux que constitue sa discographie. Pour parfaire notre connaissance d’Antonio Testa, comprendre son parcours et cerner les motivations qui sous-tendent son oeuvre, nous vous livrons ci-après l’interview exclusive à laquelle ce dernier a bien voulu nous répondre.
Dans vos productions, vous avez recours à de nombreuses sources primitives et archaïques. Dans le même temps votre travail est très lié à la technologie. Que pensez-vous de ce paradoxe entre l’utilisation d’instruments high-tech et le fait que la musique qui en résulte puisse toucher des parties aussi primitives de notre âme ?
Honnêtement, je ne suis pas particulièrement amateur de technologie en matière de musique. Je l’utilise parce que j’en ai besoin. Cela m’aide à traduire en son ce que je veux dire concernant la planète et les hommes, cela m’aide à partager auprès de plus de monde ce que je ne peux faire en concert, mais j’enregistre pratiquement tout sur support analogique, en m’efforçant d’atténuer toute interférence technologique avec le son naturel. J’utilise des instruments tribaux au moment d’enregistrer et de jouer live autour de sons digitaux et de rythmes séquencés .
J’utilise les séquenceurs Cubase pour enregistrer. La plupart des sons que je manipule sont analogiques et non numériques. Et concernant le paradoxe entre instruments high tech et anciens, j’essaie de donner au public le meilleur son naturel possible sans modifier le son réel de l’instrument d’origine. Ce qui veut dire que je n’ai pas besoin logiciels de son les plus récents.
Je crois à l’instar de John Cage que « la vraie musique est lorsque vous faites l’expérience d’instrument joués live, ce qui diffère d’écouter un enregistrement cd ou vinyle. »
Donc pour moi nous avons une expérience plus profonde des vibrations agissant sur le corps, l’esprit et la pensée quand nous allons à un concert live. Pourquoi ? Parce que le son résonne et se connecte d’abord à notre épiderme, tandis qu’avec un enregistrement ça le fait aussi mais l’impact et l’intensité ne situent pas dans la même profondeur de gammes et de fréquences. Cela n’a pas la même capacité à interagir avec les éléments subtils de l’environnement. Les rythmes répétitifs sont naturellement enchanteurs et ils ont d’abord été enfantés par la nature et les peuples primitifs.
En 2008 j’ai créé et produit le projet live « Ecosphere » aux côtés de la chanteuse et compositrice Susana Beatriz Alvear. C’est un projet « alchimique » de sons ancestraux et de rythmes tribaux. La technologie est juste un moyen de traduire le son. Il y a un monde enfoui dans notre inconscient, connecté seulement par les cycles et rythmes de notre corps et l’environnement qui les entoure.
La musique de « Echosphere » diffuse toute son énergie, ses subtilités, ses structures et son atmosphère cachée pour trouver un équilibre entre sons électroniques et acoustiques.
Pouvez-vous nous parler de votre dernier album enregistré avec Michel Moglia, sa genèse, ses spécificités ?…
En 2004, j’ai été invité à rejoinder Michel Moglia et Gaudi pour un concert au Colisée de Rome. Un événement intitulé « The Elements » qui a rencontré un grand succès. A l’issue de cette experience étonnante, Michel et moi avons parlé d’explorer nos idées et décidé de produire cet album « Forget the Past » pour le label Hypnos. Michel m’a envoyé des fichiers sonores de ses archives du fameux « orgue de feux » qu’il a inventé et créé lui-même. A partir de là j’ai commencé à procéder à l’assemblage de diverses autres sources instrumentales. Je les ai jouées et enregistrées. J’y ai ajouté les contributions d’autres artistes : pour les parties vocales Susana Beatriz Alvear, Rodolfo Airoldi à la guitare électrique et Rahien Testa, mon fils, aussi à la voix. Nous avons eu beaucoup d’échanges ardents et avons partagé nos idées dans les deux sens afin de faire avancer le projet.
Votre musique est produite à partir de nombreuses sources environnementales. D’où vient cette influence de l’environnement naturel ? Y a-t-il des endroits particuliers dans la nature qui te donne une énergie ou une inspiration supérieure ?
Mes influences trouvent leur source dans mon enfance lorsque j’utilisais des enregistrements analogiques, à une époque où j’enregistrais tout ce qui m’entourait : des bruits de la rue aux chant des oiseaux en forêt où je vivais. C’était un processus expérimental qui consistait à enregistrer les sons les plus variés, à les mixer afin de créer un nouveau paysage sonore. J’y prenais du plaisir et cela m’excitait beaucoup, ce qui m’a conduit – plus tard – à travailler pour le théâtre, en tant que musicien professionnel. J’ai ainsi composé diverses bande-sons pour la production théâtrale à Milan, Rome et Naples. J’ai fait cela pendant 15 ans. Durant cette période j’ai poursuivi mes études et recherches et j’ai même découvert un livre « The Soundscape » par Murray Shaffer qui m’a inspiré.
En 1998, j’ai produit l’album « Sounds of Nature » qui constitue une carte sonore du parc naturel Capanne Di Marcarolo, en Italie (au nord de Gêne). J’ai passé un an à enregistrer dans la forêt ce qui m’a apporté une immense inspiration.
En 2000 à Mexico, j’ai eu la chance d’enregistrer les voix de rituels populaires pour Pakal, un grand roi maya. Ceci m’a amené à aller le tombeau de Pakal à Palenque, ce qui fut une expérience de contemplation rare, sans parler de l’enregistrement. Il est rarement permis aux gens d’accéder à l’intérieur des tombeaux, ni mêmes aux rituels. Tout ceci m’a profondément inspiré.
Mais il y a aussi en 2000 au Burkina Faso. Je suis allé dans la jungle, en immersion complète en milieu naturel. J’ai pu fusionner avec tous les animaux et toutes les créatures, ainsi j’enregistre tout de cette façon. Voici le genre de vie qui me rend paisible.
Vous pratiquez la musique dans divers contextes. Comme musico-thérapeute, designer sonore, performeur… Quelle est votre intention première lorsque vous jouez de la musique ?…
Mes principales motivations et intentions sont de relier le public à la nature, dans un contexte musical à tendance tribale. Puis de trouver l’inspiration au fond de moi-même, pour moi-même. Faire un projet bien défini et permettre à ce qui me vient à l’esprit d’être un instantané sur mon état d’esprit. Mais l’important est de prendre du plaisir à réaliser l’expérience à la partager avec le public et de trouver la fluidité nécessaire pour transmettre à l’auditeur le message qu’il saura ressentir. L’amour et le respect de la nature et des hommes partout dans le monde.
Pouvez-vous nous parler de la musico-thérapie , de votre façon de procéder dans ce domaine. Qu’y a-t-il de plus gratifiant dans cette activité ?…
Lorsqu’en tant qu’hommes nous pensons à la musico-thérapie, nous pouvons penser seulement « à entendre » la musique comme « un son ». Et donc on ne retient que sa dimension atmosphérique. Ceci est bien, mais je travaille dans plusieurs directions : avec la voix, pour la danse, le corps, avec des instruments, pour la scène etc… et cela dépend souvent des différents objectifs de mes pratiques artistiques.
J’ai travaillé avec tellement de personnes différentes… Des mineurs, des psychotiques, des autistes, des enfants trisomiques …
Je ne peux pas prétendre avoir « ramené quelqu’un à la vie » mais ce que je peux dire est que je peux aider à générer chez mes interlocuteurs un intérêt à redémarrer leurs vies, à se reconnecter, à apprivoiser l’espace énergétique propice à l’émergence de nouveaux comportements. Ceci est complètement différent pour chacun. Du coup, je travaille sur différents niveaux d’emphase afin d’augmenter la possibilité de guérison et d’effet thérapeutique.
En tant qu’ethnomusicologue, j’utilise beaucoup d’instruments différents et les sons de ces instruments deviennent un langage de symboles qui va au-delà des mots.
Vous êtes actifs sur la scène musicale depuis les années 80. Quelles ont été pour vous les étapes artistiques les plus importantes de cette période ? De quoi ne seriez-vous plus capable aujourd’hui et que vous avez pu faire à l’époque ?
Après plus de 30 ans de carrière artistique, j’ai toujours grandi avec de magnifiques expériences, dans divers champs artistiques aux côtés de nombreux talentueux et célèbres artistes. En ce sens, je suis très chanceux. J’ai rencontré tant d’artistes, du monde entier, avec qui je partageais les mêmes objectifs en musique… Mais l’art est juste un moyen de communiquer votre message en ce bas-monde. Comme l’espoir que la planète puisse être sauvée de toute destruction et pollution et que, quelles que soient les races, les hommes puissent partout vivre ensemble et s’entraider. Ce que je ne pourrai pas refaire aujourd’hui est former un groupe comme W.D.X, un projet reggae de 1986. J’étais jeune, c’était phénoménal, tout s’est bien goupillé et a décollé d’un coup, nous avons aimé avoir tant de succès. J’apprécie le succès maintenant, mais cette époque de ma vie était une des meilleures… Une autre époque.
Vous êtes déjà allée en Jamaïque. Vous avez collaboré avec l’artiste dub Gaudi. Dans quelle mesure vous sentez-vous proche de la culture rasta ?
C’était il y a longtemps. J’avais donc ce groupe de reggae pendant 10 ans W.D.X. Nous nous sommes séparés autour de 1993/94, ce qui m’a conduit à continuer en solo. Ceci a cimenté mon rapport avec la Jamaïque. Je m’y suis envolé à deux reprises pour partager la « vibe » avec divers musiciens et pour me prêter à quelques interviews radios intéressante concernant la scène reggae italienne.
Ca a été une superbe expérience pour moi, principalement en raison des nombreux concerts que nous avons fait en ouverture de célèbres artistes reggae.
Si je pense réellement à ça maintenant, je me souviens comment nous jouions il y a 20 ans au tout premier festival reggae Sunsplash à Rototom en Italie.
Wow! Superb! Une expérience merveilleuse et tellement humble !
Une des expériences les plus influentes de ma vie fut mon voyage au Burkina Faso- où j’ai réalisé des enregistrements avec quelques uns des plus importants musiciens africains. J’ai passé un mois complet à voyager en Afrique avec les griots. Durant ce moment magique, j’ai eu également l’honneur de rencontrer Miriam Makeba et nous avons joué live « Missa Luba » (ndr :messe latine utilisant des chants congolais). Donc cela va sans dire que l’influence du reggae a toujours été très forte dans ma vie.
La mère de la culture reggae et rasta ne vient pas de Jamaïque mais d’Afrique, from Mama Africa. Donc vous pouvez voir pourquoi et comment la plupart de ces rastas en Jamaïque voient le reggae commercial comme babylonien. Car la vraie musique reggae est d’abord la vie ensuite une religion – c’est une lumière et pas seulement de la musique. Je travaille avec des musiciens rastafari éthiopiens en Italie, je travaille avec beaucoup d’autres africains, leurs rythmes, leur natures sont magnifiques.
La musique aujourd’hui n’est pas seulement influencée par le son africain. Vous pourriez dire que c’est une symbiose, un genre de synergie de sons et de cultures du monde mixés. Mais bien sûr l’héritage des musiques africaines continue de vivre à travers les sons d’aujourd’hui, ça va sans dire.
Quelle part de votre vie quotidienne occupe la musique et quelles sont vos activités favorites en dehors de la musique ?
Je vis avec la musique 24 heures sur 24, c’est mon métier. J’enseigne dans diverses écoles et en tant que professeur de percussion dans le domaine de la musicothérapie. Un de mes hobbies est les cerfs-volants, j’adore ça !
Pourquoi avez-vous déménagé à Londres? Qu’est-ce que cela vous apporte de plus que de vivre en Italie ou ailleurs ?
Il y a 5 ans il y a eu un changement radical en moi et dans mon travail. Sans parler de la situation politique de l’Italie que je ne pouvais pas supporter et du travail qui s’est asséché pour beaucoup de gens du jour au lendemain.
J’ai voulu venir à Londres parce que j’avais déjà travaillé dans la ville durant de nombreuses années, j’y avais publié des albums et j’avais joué dans de nombreux festivals du Royaume-Uni.
Il y a quelques années de cela vous avez offert à Solénoïde un mix exclusive dédicacé à Jorge Reyes, le musicien ethno-ambient mexicain. Qu’est-ce que cet artiste évoque de spécial pour vous ?
En 1994, Jorge Reyes a entamé une collaboration avec Eraldo Bernocchi pour son projet « In the Ashes« , en studio et aussi en live. C’est à ce moment-là que je l’ai rencontré. J’ai été invité par Eraldo Bernocchi dans son studio. Il travaillait à la production d’un CD avec Jorge Reyes. Nous avons passé environ une semaine en studio mais le CD n’a jamais été terminé. Quand j’ai reçu l’information de sa disparition, par mon ami Steve Roach, j’ai été touché et j’ai voulu dédicacer ma compilation afin de pouvoir garder le souvenir d’un grand musicien et aussi de ces moments passes avec lui et Eraldo.
A ce jour, vous avez produit un grand nombre d’albums. Quel est le projet dont vous êtes le plus fier et quel pourrait être votre rêve artistique absolu ?
Peut-être qu’un de mes projets les plus importants est mon premier album solo « Senza tempo nel tempo » pour mon propre label. Avec l’aide de Eraldo Bernocchi j’ai utilisé son vieil enregistreur 4-pistes analogique pour les compositions de cet album. Pour le futur, je vais extraire tous les enregistrements faits en Afrique en 2000 et je vais essayer de les publier pour aider les gens du Burkina Faso. C’est mon rêve.
Le prochain projet sur lequel je travaille est mon exposition ‘Earth Song‘ qui présente ma collection d’instruments anciens et le travail avec tous ceux qui la visite pour voir si nous pouvons créer des compositions connectées aux quatre éléments de la nature. Nous sommes en train de produire 4 vidéos réunissant les éléments terre, air, feu et air et je veux voir si les gens peuvent comprendre leurs origines environnementales et tribales à travers ces sons.