ØjeRum

Drømme I Langsomt Stof

Glacial Movements - Septembre 2025

Chronique

Il est des albums qui ressemblent à des paysages. Non pas ceux qu’on contemple à distance, mais ceux que l’on traverse lentement, à pas feutrés, en laissant chaque détail se déposer sur la rétine et dans l’oreille. Drømme I Langsomt Stof (‘Dreams in Slow Matter’), nouvelle œuvre du musicien et artiste visuel danois øjeRum (alias Paw Grabowski), est de ceux-là. Une longue pièce de 45 minutes, parue chez Glacial Movements, qui ne raconte rien mais qui murmure tout.

Pochette de l'album "Drømme I Langsomt Stof" par l'artiste ØjeRum alias Paw Grabowski

Tout commence avec un bruissement discret, presque imperceptible, celui de la glace qui se fendille et respire sous la surface d’un lac. Là où d’autres n’entendraient qu’un craquement, øjeRum débusque une vibration, une matière sonore à sculpter. Fidèle à son art du drone ambient méditatif, il fait de l’immobilité un territoire mouvant, où chaque micro-variation agit comme un pas de côté. L’album est traversé par une lenteur souveraine, mais jamais figée : la glace craque, se reforme, se souvient. On pourrait croire ce disque purement conceptuel, glacé comme les paysages arctiques qui hantent le catalogue de Glacial Movements. Mais la surprise est ailleurs : sous la surface froide palpite une émotion étrange, inquiète et mélancolique. Minute après minute, la glace n’est plus seulement un objet sonore ; elle devient organisme, peau, mémoire. On croit entendre des fantômes prisonniers des strates gelées, des réminiscences ontologiques qui remontent à la surface et se dissolvent aussitôt. La musique n’illustre pas : elle convoque, elle fait surgir.

Les auditeurs familiers de Paw Grabowski savent que son travail, qu’il publie depuis des années sur des labels comme 12k, Room40, LINE, IIKKI ou Opal Tapes, cherche toujours à lier son et image. Ses collages analogiques, découpés à la main, trouvent leur écho dans ces longues nappes de drone qui ne cessent de se métamorphoser. Ici, le paysage sonore se fait miroir intérieur : en écoutant Drømme I Langsomt Stof, chacun projette ses propres visions. Certains y verront des glaciers se disloquer, d’autres une cathédrale de givre, d’autres encore un théâtre mental où le temps se dilue. Il serait tentant de rapprocher cette œuvre de celles de Thomas Köner ou de Sleep Research Facility, ces maîtres de l’ambient polaire. Mais øjeRum y ajoute une fragilité humaine, une faille intime. Ses drones ne sont pas des murs impénétrables ; ce sont des voiles qui frémissent, des membranes sensibles. L’album s’écoute comme une lente catharsis, une purification blanche où chaque fissure devient une ouverture, chaque silence une résonance. On en ressort avec le souffle ralenti, comme après une longue marche dans un désert de neige.

Drømme I Langsomt Stof n’est ni une démonstration technique ni un manifeste esthétique : c’est une méditation. Une invitation à contempler ce qui se défait, ce qui glisse, ce qui disparaît. À comprendre que le froid n’est pas absence, mais intensité retenue. L’expérience est exigeante, sans concession, mais elle récompense celui qui accepte de s’y abandonner. Elle rappelle que dans l’ambient, la véritable aventure n’est pas dans l’accumulation des effets, mais dans la patience de l’écoute.

Avec ce nouvel album, øjeRum prouve une fois de plus qu’il n’a pas son pareil pour transformer l’invisible en audible. Drømme I Langsomt Stof est une pièce qui refuse les facilités du spectaculaire, mais qui impose son évidence : faire de la glace une matière vivante, du silence une texture, et de l’immobilité un voyage. Dans les replis de ce disque énigmatique se loge une émotion discrète mais tenace, qui ne quitte plus l’auditeur une fois l’écoute achevée. Un disque qui ne se contente pas d’occuper l’espace sonore : il l’habite, comme un rêve étiré dans la lenteur d’une matière suspendue.

Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !

A propos de ØjeRum

ØjeRum est le pseudonyme du Danois Paw Grabowski, artiste sonore et visuel qui façonne des paysages où le temps se dilue. Entre drones fragiles, méditations suspendues et collages analogiques, il explore les zones frontières entre mémoire et disparition, son et image, silence et résonance. Son œuvre prolifique, publiée sur des labels exigeants comme 12k, Room40, LINE, IIKKI ou Glacial Movements, trace une cartographie intime de l’éphémère : une musique qui respire comme la glace, qui se fissure comme un souvenir et qui persiste comme un rêve.

Photo de l'artiste ØjeRum alias Paw Grabowski

Solénothèque

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *