PRIMA KANTA

In A Purple Time

Les Disques Linoleum - septembre 2025

Chronique

Il est des disques qui semblent s’écrire dans une autre temporalité, à la fois suspendue et fluide, comme s’ils s’inscrivaient dans une dimension parallèle de notre expérience du réel. In A Purple Time, le nouvel album de Prima Kanta, est de ceux-là.

Pochette de l'album "In A Purple Time" par le groupe Prima Kanta

Créé en 2019 par le clarinettiste et saxophoniste Laurent Rochelle, Prima Kanta s’est d’abord présenté sous forme de sextet avec son premier album 7 Variations sur le Tao (2021, Les Disques Linoleum). Un disque déjà remarqué pour son originalité, sa profondeur méditative et son inscription dans une esthétique minimaliste. Aujourd’hui, l’ensemble s’est resserré autour d’un quartet inhabituel : Rébecca Féron (harpe électroacoustique et voix), Laurent Rochelle (clarinettes, sax soprano, percussions, compositions), Arnaud Bonnet (violon et voix) et Frédéric Schadoroff (piano, synthétiseurs, voix, derbouka). Pas de basse, pas de batterie : le groupe assume son identité de jazz de chambre‘, un espace où les cordes, les souffles et les résonances acoustiques sculptent une matière sonore à la fois fragile et dense.

L’album a été enregistré en juillet 2024 au studio Alhambra de Rochefort, sous l’oreille attentive de Vincent Barcelo. Onze compositions originales signées Laurent Rochelle forment un cycle de près d’une heure. Mais ce qui frappe à l’écoute, c’est moins l’écriture — précise et ciselée — que l’alchimie collective : les quatre musiciens arrangent, colorent, improvisent, et font circuler entre eux une énergie rare qui donne au disque sa cohésion et sa respiration. Loin des recettes habituelles du jazz, Prima Kanta invente un langage qui conjugue rigueur et liberté. On retrouve l’influence assumée des grands minimalistes (Terry Riley, Steve Reich, Philip Glass, Moondog), mais réinterprétée avec un accent personnel : celui de la poétique sonore de Laurent Rochelle, où chaque note semble chercher à rejoindre un espace intérieur.

Le titre de l’album n’est pas anodin. In A Purple Time évoque un temps « violet » : un temps qui n’est ni noir ni blanc, ni jour ni nuit, mais un entre-deux, une zone de passage, comme un crépuscule dilaté. On retrouve cette impression dans la musique : elle avance par ostinatos hypnotiques, puis se dissout dans des respirations ouvertes ; elle construit des architectures répétitives qui se fissurent pour laisser jaillir l’imprévu. Ici, le violon d’Arnaud Bonnet surgit comme une flamme, tour à tour incisive ou caressante. La harpe de Rébecca Féron, amplifiée et transformée par l’électronique, se métamorphose en instrument polymorphe, capable de sonorités aquatiques ou telluriques. Le piano de Frédéric Schadoroff oscille entre transparence et densité, parfois rejoint par des nappes synthétiques qui élargissent l’espace. Enfin, les clarinettes et saxophones de Laurent Rochelle tissent des lignes mélodiques tantôt méditatives, tantôt incantatoires.

Grande nouveauté de ce second opus : la présence du chant. Les voix de Rébecca Féron et d’Arnaud Bonnet, loin d’ajouter une dimension simplement décorative, deviennent de véritables instruments. Tantôt murmures, tantôt incantations, elles s’entrelacent aux textures instrumentales, comme des ombres humaines dans un paysage imaginaire. Cette intégration vocale renforce l’impression d’entrer dans un monde ‘cinématographique’, où chaque morceau pourrait être la bande-son d’un film invisible.

Si l’esthétique convoque des références savantes, In A Purple Time n’a rien d’un disque austère. Bien au contraire : sa force est d’être à la fois atypique et accessible, de ménager des espaces de contemplation sans jamais se figer. Chaque morceau ouvre une porte vers une émotion singulière : mélancolie, éclat, apaisement, tension, surprise. Le quartet revendique clairement cette volonté de toucher un auditoire large, sans compromis sur l’exigence artistique. Il est intéressant de voir comment In A Purple Time prolonge le chemin entamé avec 7 Variations sur le Tao. Là où le premier disque s’inscrivait dans une démarche quasi spirituelle, inspirée par le taoïsme et l’idée d’équilibre des forces, ce nouveau chapitre explore une dimension plus onirique, plus ouverte aux couleurs électroniques et à l’improvisation vocale. Pourtant, la continuité demeure : même refus des conventions, même recherche d’harmonie entre discipline collective et liberté individuelle, même désir de convoquer l’imaginaire comme matériau de composition.

On sort de l’écoute de In A Purple Time comme d’un labyrinthe mystérieux : chaque porte franchie ouvre sur une autre, chaque salle résonne différemment, chaque couleur surprend. Mais loin d’égarer, cette errance transforme : l’auditeur en sort différent, comme s’il avait traversé un rêve conscient. En définitive, ce disque est un espace de métamorphose. On y entre pour écouter de la musique, on en ressort avec des images, des sensations, des réminiscences. Prima Kanta réussit ce tour de force : créer une œuvre atypique et originale, mais capable de toucher un large public. À l’heure où tant de productions s’alignent sur les mêmes codes, ce quartet trace une route à part. Leur violet est une couleur de résistance, une nuance poétique. Et leur temps, celui qu’ils nous offrent, est précieux : un temps pour ralentir, rêver et s’ouvrir.

Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !

A propos de PRIMA KANTA

Créé en 2019 par le clarinettiste et saxophoniste Laurent Rochelle, Prima Kanta est un quartet atypique qui revendique un « jazz de chambre » sans basse ni batterie. Aux côtés de Rochelle, on retrouve Rébecca Féron (harpe électroacoustique, voix), Arnaud Bonnet (violon, voix) et Frédéric Schadoroff (piano, synthétiseurs, voix, derbouka). Ensemble, ils façonnent une musique à la fois minimaliste et expressive, mêlant ostinatos hypnotiques, improvisations et textures électroniques. Après un premier album remarqué (7 Variations sur le Tao, 2021), Prima Kanta revient avec In A Purple Time (2025), un disque poétique et onirique qui confirme la singularité du groupe : une musique exigeante mais accessible, ouverte à tous les imaginaires.

Photo du groupe Prima Kanta avec Rébecca Féron, Laurent Rochelle, Arnaud Bonnet et Frédéric Schadoroff

Solénothèque

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