PTÔSE /
PALO ALTO

Phantom Cosmonauts

Psychofon Records - 2017

Chronique

On le croyait perdu dans un astéroïde poussiéreux du temps, et pourtant Ptôse est de retour, arrimé à Palo Alto pour lancer un SOS spectral depuis l’orbite terrestre. Le split-album Phantom Cosmonauts ne se contente pas d’être une curiosité sonore : c’est un trou noir auditif qui aspire nos certitudes, et projette l’auditeur dans la capsule tourbillonnante d’un programme spatial soviétique fantôme.

Pochette de l'album "Phantom Cosmonauts" par les artistes Palo Alto et Ptôse

Car derrière la platine qui grésille, il y a ces voix captées par les frères Judica-Cordiglia, ces radioamateurs italiens des années 60, convaincus que des cosmonautes russes ont péri dans l’indifférence glaciale du vide intersidéral. Phantom Cosmonauts devient alors la bande-son inédite d’un secret d’État cosmique, oscillant entre poésie radiophonique et paranoïa spatiale.

Face A. Nuages cosmiques. Ptôse, vétéran niortais de l’électronique dadaïste, déploie ses modules et samplers pour tresser un linceul sonore où flottent les échos de stations soviétiques et de cœurs qui battent trop fort. Continue to Speak, Comrade s’ouvre sur des chœurs russes tragiques, comme une messe orthodoxe en apesanteur, prête à se disloquer sous l’onde gravitationnelle d’une guitare surf imprévue. Oui, un break surf façon Tornados débarque soudain, absurde et génial, illuminant les abysses de Tiny Guidance Variation d’une lumière néon venue d’un western galactique. Les trois titres de Ptôse sont comme des boîtes noires ouvertes au tournevis : il en jaillit des crépitements, des voix désincarnées, et des éclats mélodiques à la frontière du rêve et du malaise. Shuttered Mechanical Flies se termine sur un motif quasi motorik, évoquant un essaim de mouches cybernétiques prêtes à contaminer l’espace. C’est de la musique électronique minimale, certes, mais habitée d’un humour noir et d’une troublante mélancolie soviétique.

Face B. Cosmos noir. Là où Ptôse s’amuse des paradoxes, Palo Alto plonge tête la première dans les abysses stellaires. Ludmila débute comme un compte à rebours dramatique : la voix tirée d’un manuel soviétique proclame la conquête de l’espace par l’URSS, pendant que le violon fiévreux de Blaine L. Reininger (Tuxedomoon) tournoie comme un satellite désorienté autour de la basse dense de Laurent Pernice. Puis vient Torre Bert, dont l’introduction ambient semble capter le silence sidéral des satellites espions. Soudain, l’orgue et la guitare de Denis Frajerman font basculer le morceau dans une solennité gothique. Chaque son y semble filtré à travers une antenne géante, en quête de signaux perdus. La Solution du Désespoir referme la porte de la capsule : boîte à rythmes, nappes synthétiques, et séquenceurs tissent une toile sombre et mystérieuse, digne des hallucinations électroniques de Peter Frohmader. Tout est lent, hypnotique, comme une respiration sous scaphandre trop serré.

Phantom Cosmonauts est un palimpseste où s’écrivent en filigrane les récits occultes de l’ère spatiale. Il est impossible de ne pas y voir une métaphore : celle d’hommes lancés dans le vide cosmique, condamnés à errer à jamais comme des spectres orbitaux, tandis que la Terre continue de tourner, insensible. Dans le sillon crépitant de ce vinyle, on entend donc à la fois l’écho des ambitions soviétiques et celui de nos angoisses contemporaines : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour conquérir l’inconnu, et à quel prix ?

Entre science-fiction bruitiste, minimalisme dada et dark ambient, Phantom Cosmonauts est un artefact singulier, précieux, pour tous ceux qui aiment écouter la musique comme on scrute le ciel : dans l’espoir d’y surprendre une lumière insolite, ou le dernier appel d’un cosmonaute oublié. À écouter absolument, casque vissé sur les oreilles, pour ne pas manquer le moindre bip venu des étoiles.

Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !

A propos de PTÔSE et de PALO ALTO

PTÔSE – Niort, fin des années 70. Dans un coin de France où la brume semble éternelle, deux frères, Lionel et Benoît Jarlan, bricolent des sons comme d’autres collectionnent les insectes rares. PTÔSE naît ainsi, pur produit de l’underground électronique français : un laboratoire sonore où se mêlent humour dada, minimalisme glacé et obsessions surréalistes. Entre samplers détraqués, voix murmurées ou déclamées et mélodies aussi absurdes que fascinantes, PTÔSE invente une musique à la fois intime et extraterrestre. Leur tube improbable, ‘ Boule, Boule, viens ici sale chien’, est devenu culte dans le cercle très fermé des passionnés de musique déviante. Disparu des radars après les années 80, PTÔSE ressurgit aujourd’hui comme un message radio capté depuis une capsule soviétique perdue dans l’espace : étrange, poignant et toujours follement libre.

PALO ALTO – Fondé à Paris en 1989, PALO ALTO est un vaisseau sonore piloté par des aventuriers des marges : Philippe Perreaudin, Jacques Barbéri et Laurent Pernice, tous passionnés de littérature fantastique, de cinéma de science-fiction et d’explorations musicales hors-normes. Leur musique, dense et cinématographique, fusionne saxophones hallucinés, nappes électroniques, violons mélancoliques et guitares spectrales. Chaque morceau est une porte vers des mondes parallèles, tantôt angoissants, tantôt d’une beauté glaciale. Avec PALO ALTO, le space opera devient sonore, les complots cosmiques prennent corps et l’auditeur se mue en cosmonaute égaré dans un univers où même les étoiles semblent suspectes. Une constellation rare dans le ciel de la musique expérimentale française.

Photo du groupe Ptôse

Solénothèque

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