PUTS MARIE

Pigeons, Politicians & Pinups During the End Time of Mankind

Autoproduction - Septembre 2025

Chronique

Dans les recoins d’un monde qui se délite, où le béton se fissure et où les néons clignotent comme des avertissements fatigués, Puts Marie revient. Et comme toujours, les Biennois ne reviennent pas pour rassurer : ils ouvrent des portes grinçantes, tirent des rideaux sales, et nous y plongent tête baissée. Leur nouvel album – à lui seul un manifeste – s’intitule Pigeons, Politicians & Pinups During the End Time of Mankind. Rien que ça. Un titre-programme qui sonne comme une fresque post-apocalyptique peinte au charbon et au sang séché.

Pochette de l'album "Pigeons, Politicians & Pinups During The End Time Of Mankind" per le groupe Puts Marie

On retrouve derrière le micro et les histoires Max Usata – alias Miro Caltagirone, ce crooner éraillé qui chante comme on raconte ses rêves étranges au petit matin, entre lucidité et hallucination. Sa voix rauque, féline, s’enroule autour des guitares de Cyril Hassler aka Sirup Gagavil, des nappes de Farfisa de Beni06, des percussions désormais portées par Tobi Schramm et des graves sinueux de Igor Stepniewski (désormais relayé sur scène par Louis Schild). Ensemble, ils tissent des morceaux longs – jamais en dessous de cinq minutes trente – qui ne craignent ni la lenteur ni l’ombre.

Le disque s’ouvre avec Bird Breeding Man, fresque de plus de sept minutes où l’on suit un colombophile new-yorkais élevant ses pigeons sur les toits. Ici, les volatiles ne sont pas des symboles de paix mais des éclaireurs du chaos, porteurs d’un savoir secret sur la navigation à travers la fin des temps. On entend presque le battement d’ailes frapper les murs du studio. Puis vient A Con Man Goes Around, fable douce-amère sur un imposteur qui s’habille chaque matin en employé de bureau avant de rentrer sur la pointe des pieds chez lui, laissant croire qu’il a sa place dans la grande mécanique sociale. Une métaphore grinçante de ces politiciens qui tournent en rond en donnant l’illusion d’agir. Plus incisif, Robber’s Daughter raconte l’histoire d’une fillette kleptomane, entre innocence et duplicité, sur une ritournelle entêtante. Puis le souffle s’allonge avec Long Distance Runner, inspiré du marathonien éthiopien Abebe Bikila, vainqueur olympique pieds nus à Rome. Comme lui, Puts Marie avance sans chaussures, mais avec une puissance tranquille, une endurance insolente. La descente se poursuit avec Cicciolina and the Clerks : strip-tease, confession minable, billets de banque gaspillés dans une ville sale et riche sans avenir. Ici, la pin-up se fige dans une danse interminable tandis que les employés s’engloutissent dans leur médiocrité. La fin de l’humanité n’a jamais eu de bande-son aussi languissante et vénéneuse. Enfin, Hotel Asylum – sommet de l’album – accueille la voix de Rea Dubach (Omni Selassi). Elle y narre l’histoire d’un hôtel insalubre, peuplé de migrants échappés de l’enfer pour mieux s’y retrouver. Les pigeons, cette fois, finissent cuits à coups de chaussures. La mélodie, triste et majestueuse, referme l’album comme une porte de prison.

Dix ans après Masoch et sept après Catching Bad Temper, Puts Marie ne cherche toujours pas le confort. Leur rock poisseux, cabossé, se nourrit autant du blues déglingué d’un Tom Waits que du souffle industriel de leurs compatriotes The Young Gods, dont la pochette de leur dernier album fait d’ailleurs étrangement écho à l’impact de balle choisi ici. Mais là où d’autres se perdent en pastiches, Puts Marie cultive une singularité radicale, née sans doute de leur géographie frontalière (entre suisse romande et alémanique) et de la trajectoire nomade de leur leader (entre Bienne, New York et Portland). Là où beaucoup empilent des chansons, eux fabriquent des tableaux : sombres, bancals, mais irradiant une beauté rare. On pense à ces bars miteux où un piano désaccordé fait jaillir des perles inattendues. À ces ruelles où la crasse finit par briller au soleil levant. À ces marathoniens pieds nus qui courent encore alors que le monde s’effondre.

Alors, est-ce la fin du monde ? Peut-être. Mais dans ce désastre, Puts Marie déniche l’étincelle. Pigeons, Politicians & Pinups During the End Time of Mankind n’est pas un album pour danser, ni pour consoler. C’est un disque pour voir clair dans la pénombre, pour s’accoutumer à l’obscurité, pour accepter que la beauté naisse parfois du glauque. Et s’il ne nous reste qu’un album à écouter au bord du gouffre, il pourrait bien ressembler à celui-ci.

Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !

A propos de PUTS MARIE

Puts Marie est un drôle d’oiseau. Formé à Bienne au tournant du siècle, ce quintet helvète n’a cessé de brouiller les pistes : jazz libre à ses débuts, rock cabossé gorgé de blues poisseux, chanson réaliste en guinguette noire, incursions hip hop ou improvisations totales. Porté par la voix incandescente et théâtrale de Max Usata, crooner halluciné entre Tom Waits et rappeur désabusé, le groupe s’est taillé une réputation unique : concerts fiévreux, disques insaisissables, trajectoire indomptable. Puts Marie, c’est la beauté qui surgit du glauque, la poésie des marges, et cette intensité rare qui transforme chaque chanson en tableau de fin du monde.

Photo du groupe suisse Puts Marie

Solénothèque

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *