Il y a chez Sophie Tassignon une conviction rare : celle que la musique peut abolir toutes les frontières. Qu’elles soient géographiques, linguistiques ou temporelles. Avec A Slender Thread, son deuxième album solo paru chez Nemu Records, la chanteuse, pianiste et compositrice belge signe une œuvre ambitieuse où la voix devient la matière première d’un univers sonore à la fois audacieux et profondément humain.
Ce nouvel opus est un manifeste musical, un plaidoyer pour la porosité entre les mondes. Enregistré entre Berlin et Washington D.C., l’album associe compositions originales, réinterprétations de pièces classiques et emprunts à des traditions musicales diverses, le tout habillé de textures électroacoustiques.
Dès la première piste, Tassignon donne le ton. Erbarme Dich, célèbre air extrait de la Passion selon Saint Matthieu de J.S. Bach, est ici réarrangé avec une sobriété moderne. La voix de Tassignon confére à cette prière séculaire une aura intemporelle. C’est une manière pour la chanteuse de poser d’entrée de jeu le cadre : le passé et le présent n’existent pas en opposition, mais cohabitent. Ce voyage se poursuit avec la pièce titre A Slender Thread, intégralement composée par Tassignon. Ici, la musicienne déploie toute sa palette électroacoustique : couches vocales superposées, motifs mélodiques répétés comme des mantras, atmosphères mouvantes. La voix y devient instrument à part entière, modelée, filtrée, transformée. L’une des forces de Tassignon est d’évoluer avec la même aisance dans des langues multiples. Sur Molitva, elle reprend un morceau du poète et chansonnier russe Bulat Okudzhava. La voix s’y fait grave, presque murmurée, sur un fond d’accords épurés. L’émotion affleure, dans une forme de pudeur toute slave. Puis, changement total de décor avec Chornij Voran, morceau traditionnel arrangé par Tassignon, où elle collabore étroitement avec le guitariste et producteur américain Kevin Patton. Les guitares saturées de Patton y créent une tension palpable, transformant la chanson en une fresque dramatique presque cinématographique.
L’album s’aventure aussi sur des terres orientales. Marhaba met en musique un poème de la poétesse émirienne Ousha bint Khalifa Al Suwaidi. Dans ce titre, les influences arabes se mêlent aux textures électroacoustiques de Tassignon. Sa voix, souple et enveloppante, épouse les contours sinueux de la langue arabe avec une délicatesse remarquable. Autre moment marquant : Yellow Leaves, coécrit avec le poète libanais Hicham Nasr. Ici, la musique se fait minimaliste, laissant toute la place à la respiration des mots. Chaque syllabe est mise en valeur, comme posée sur un écrin sonore délicat. Il s’en dégage une sensation d’intimité, presque de fragilité. Enfin, l’album se clôt sur The Soldier In You, un morceau plus sombre et percutant, où Tassignon explore les thèmes de la guerre intérieure et des conflits personnels. La production, signée conjointement avec Kevin Patton, mêle beats électroniques et voix fragmentées, créant un climat à la fois tendu et hypnotique. En sept titres, A Slender Thread dessine la carte d’un territoire sonore unique. Il est difficile de classer la musique de Sophie Tassignon tant elle se situe à la croisée des genres : jazz, avant-garde, électroacoustique, musique du monde. Mais c’est justement cette impossibilité de la réduire à une seule étiquette qui fait la richesse de son art.
Depuis plus de vingt ans, Tassignon a tracé un chemin singulier, se produisant sur des scènes prestigieuses à travers le monde et enregistrant onze albums sous son nom ou avec divers projets comme Azolia ou Khyal. Son premier album solo, Mysteries Unfold (RareNoise Records, 2020), avait déjà été salué dans notre émission Solénoïde lors de sa sortie pour son audace et sa beauté singulière. A Slender Thread va encore plus loin, consolidant son statut d’artiste inclassable. Au-delà de ses qualités musicales, l’album résonne aussi comme une déclaration d’intention. Dans un monde où les identités se crispent, où les frontières se referment, Sophie Tassignon nous rappelle que la musique est peut-être le dernier espace de liberté totale. Elle y superpose les langues, les traditions et les esthétiques sans jamais les opposer. Tout est flux, tout est dialogue.
A Slender Thread est précisément cela : un fil fragile qui relie les hommes, les époques, les cultures, et qui, malgré sa finesse, ne rompt jamais. C’est un disque exigeant, certes, mais profondément généreux, qui offre à ceux qui s’y plongent un véritable voyage sensoriel et spirituel. Sophie Tassignon n’a pas fini de surprendre. Ni de nous rappeler qu’au-delà des langues et des différences, la musique est peut-être la plus belle langue commune.
Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !
Sophie Tassignon est une chanteuse, pianiste et compositrice belge installée à Berlin, reconnue pour son univers musical où se mêlent jazz, avant-garde et électroacoustique. Polyglotte, elle chante en anglais, allemand, arabe, russe et français, et tisse dans ses œuvres des ponts entre cultures et époques. Lauréate de deux médailles d’or aux Global Music Awards, elle compte déjà 11 albums à son actif, et collabore avec des artistes de renom sur la scène internationale. Sa musique, vibrante et audacieuse, invite à un voyage sonore profondément humain et sans frontières.
