Un frémissement, à peine un souffle. Une lueur bleutée surgissant des profondeurs du silence. Voilà comment Out of the Blue, le dernier album de Tomo Nakaguchi, s’invite à nos oreilles — comme un phénomène naturel imprévu, un miroitement surgissant entre le connu et l’invisible.
Dans son laboratoire intime de Yokohama, Nakaguchi continue d’aiguiser son art de l’irréel. Issu d’une tradition japonaise où la contemplation de l’éphémère devient geste artistique, il sculpte ici des paysages sonores qui oscillent entre rêverie pure et chaos céleste. Avec ce troisième opus chez Audiobulb, le musicien affine sa langue faite de field recordings, de guitares modulées, de synthétiseurs éthérés et de boucles infinies. Mais il ne s’agit plus seulement de textures : Out of the Blue propose un véritable voyage émotionnel, une traversée du miroir où chaque note est une étoile filante à capter avant qu’elle ne s’éteigne.
Dès Emit, la première piste, l’oreille est happée dans une lente torsion du réel : bruits de souffle, grains saturés, micro-cascades de fréquences… On avance à l’aveugle, les pieds nus sur une moquette d’ombres. Indigo Line et Ice On Glass poursuivent ce tissage subtil, où les sons glissent comme des algues sous une mer d’huile. Ici, l’univers n’est pas cartographié : il est ressenti, intimement. L’impression est celle d’écouter un coquillage brisé que l’on tiendrait contre son oreille — écoutant, derrière le fracas du passé, la rumeur d’un futur encore indécis. Tidal Breaking et Cyan font éclater de petits cataclysmes contrôlés. Tomo Nakaguchi ne cherche pas la quiétude béate ; il ose la dissonance, la rupture, l’accident qui fait frissonner. Sa musique est vivante parce qu’elle respire, halète, chute parfois — pour mieux se relever, lumineuse, dans Filament ou Moon Gazing, véritables balancements d’argent entre ciel et mer.
Plus qu’une couleur, le bleu devient ici langage. C’est le bleu du crépuscule que l’on regarde sans vraiment vouloir comprendre. Le bleu du souvenir de l’eau, du verre, de la neige — un bleu fluide, insaisissable, auquel Tomo Nakaguchi donne une densité palpable. L’auditeur flotte dans cette matière sonore comme dans un rêve semi-éveillé, traversant les dernières plages (Warm Snow, Sine From The Past, Blooms) comme on franchirait les rideaux diaphanes d’un autre monde.
L’ombre portée de son précédent album, The Long Night in Winter Light (2023), n’est jamais loin. On retrouve ici le même dialogue secret avec la nature, mais où la neige immobile et silencieuse laisse place à une matière plus changeante, plus indomptée. La beauté du monde, toujours menacée par l’effritement, éclot sous les doigts de Nakaguchi en bouquets sonores fragiles, offerts à l’éphémère. Là où tant d’albums électroniques cherchent le contrôle parfait, Out of the Blue cultive l’imperfection précieuse : une guitare qui grince, un enregistrement qui crépite, un synthé qui vacille comme une luciole. Chaque détail semble porter la mémoire d’un instant réel — un craquement de pas sur la neige, un vent tiède à la tombée du jour.
Écouter Tomo Nakaguchi, c’est accepter de perdre ses repères. C’est se laisser submerger par des marées émotionnelles, se perdre pour mieux être retrouvé par une musique qui éclaire, d’un bleu pur, nos propres zones d’ombre. En définitive, ce disque est une dérive poétique au large du monde tangible, une rêverie offerte à celles et ceux qui savent encore écouter l’invisible.
En programmation dans Solénoïde – Blender Session 68, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !
Tomo Nakaguchi est un musicien basé à Yokohama, au Japon. Membre du groupe de rock expérimental 1769 et du collectif multimédia Skyward Photo Film, il façonne des textures sonores rêveuses et chaleureuses à travers des couches de guitare modulée, d’échantillonneurs, de magnétophones endommagés, d’enregistrements de terrain et de sons instrumentaux variés.