Avec Transit Tribe, Ulrich Troyer déploie une vision musicale qui transcende les frontières géographiques et stylistiques, s’imposant comme une œuvre manifeste de l’ambient-dub contemporain. Ce disque ambitieux et riche en collaborations internationales ne se contente pas d’explorer les échos familiers du dub traditionnel, mais les conjugue à une multitude d’influences – du jazz au reggae, en passant par le psychédélisme et les musiques du monde – pour tracer une carte sonore inédite.
Dès les premières notes de Vajolet, l’auditeur est transporté dans un univers où se mêlent trombone, violoncelle et cithare préparée. Ce morceau inaugural donne le ton : Transit Tribe est une aventure sonore où chaque invité joue un rôle crucial. Parmi eux, Osman Murat Ertel, membre du groupe électro-psyché Baba Zula, ajoute la texture unique de son saz électrique sur deux titres (Felltuner Hütte et Avrupa Köprüsü), tandis que Mamadou Diabaté, maître du balafon burkinabé, contribue à l’éclat organique du tambour parlant sur Latzfonser Kreuz.
Ulrich Troyer s’appuie sur un casting méticuleusement choisi, réunissant des artistes tels que Roger Robinson, voix soul du collectif King Midas Sound, ou encore Susanna Gartmayer, clarinettiste basse autrichienne spécialisée dans l’improvisation. Cette diversité d’instruments – marimba, zither, Rhodes, Farfisa, et plus encore – témoigne de l’attention portée à chaque texture et à chaque nuance.
Architecte de formation, Ulrich Troyer applique son savoir-faire à la construction de paysages sonores. Chaque couche, chaque effet, chaque silence semble pensé pour optimiser l’expérience auditive. Les infrabasses profondes, ponctuées par des rythmes hypnotiques et des échos flottants, invitent à une déambulation dans des espaces virtuels, à mi-chemin entre l’electronica et le minimalisme dub. Ce jeu d’équilibre entre électronique et organique rappelle l’approche de figures comme Bill Laswell ou Jon Hassell, tout en affirmant une identité propre.
À travers Transit Tribe, Troyer ne cherche pas seulement à fusionner les genres, mais à les faire dialoguer. Le résultat est une œuvre immersive, tantôt introspective, tantôt explosive, où chaque morceau invite à un voyage. Le titre Europabrücke, par exemple, combine la clarinette contre-alto de Gartmayer et des percussions enivrantes, évoquant une traversée imaginaire entre continents.
Cet album s’inscrit également dans une tradition de « dub futuriste », où le travail des textures et des espaces, amplifié par l’usage magistral des delays et réverbérations, constitue une véritable exploration sonore. Les adeptes d’African Head Charge, Pole ou encore On-U Sound trouveront ici une expérience à la fois familière et innovante.
Malgré sa sophistication, Transit Tribe reste étonnamment accessible. Troyer réussit le tour de force de maintenir une cohérence dans cette mosaïque musicale, tout en offrant des points d’entrée variés pour l’auditeur. Avec des morceaux comme Lago di Garda, porté par la voix envoûtante de Roger Robinson, ou Autostrada del Brennero, enrichi par la flûte de Diggory Kenrick, chaque titre semble raconter une histoire unique, tout en s’inscrivant dans l’ensemble cohérent de l’album.
Avec Transit Tribe, Ulrich Troyer signe une œuvre majeure, une célébration des possibilités infinies de la musique. Ce disque n’est pas seulement une prouesse technique ou artistique ; c’est un voyage vers un monde où les cultures et les styles se rencontrent, se transforment et s’enrichissent mutuellement. Une réussite éclatante qui confirme l’autrichien comme l’une des voix les plus audacieuses et visionnaires de la scène dub contemporaine.
Écouter Transit Tribe, c’est accepter de se perdre dans un labyrinthe d’échos, de rythmes et de mélodies. Un labyrinthe où l’on aimerait ne jamais trouver la sortie.
En programmation dans Solénoïde – Mission 234, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !
Ulrich Troyer, artiste viennois multidimensionnel, fusionne musique, architecture et art contemporain pour créer des expériences uniques. Sa démarche explore l’interaction entre l’espace acoustique et la perception sensorielle, comme en témoigne son œuvre radiophonique Sehen mit Ohren, une immersion dans la perception spatiale des personnes aveugles.
Compositeur, producteur et concepteur sonore, Troyer excelle dans l’univers du dub futuriste, où infrabasses et manipulations sonores rencontrent une richesse instrumentale. Sa trilogie Songs for William illustre cette quête, mêlant musique électronique, roman graphique et performances live.
Également collaborateur prolifique, il a travaillé sur des musiques de films, des projets de danse contemporaine et avec The Vegetable Orchestra, explorant des sonorités inédites à partir d’instruments végétaux. En parallèle, son studio 4Bit est un laboratoire où analogique et innovation se croisent, produisant des bandes sonores primées, notamment pour des applications éducatives comme BANDIMAL, lauréate d’un Apple Design Award.
Avec son label 4Bit Productions, Troyer s’affranchit des conventions pour diffuser sa musique, où se rejoignent dub, afrobeat, musiques du monde et sons expérimentaux. Une carrière à la croisée des disciplines, qui fait de lui un créateur visionnaire et incontournable.