Il est un endroit où la musique cesse d’être une chose que l’on écoute. Elle devient un territoire que l’on traverse. Un lieu où chaque note laisse une empreinte humide dans l’air. Un lieu où le silence chante et où les oiseaux, sans qu’on les ait conviés, deviennent vos compagnons de voyage. Cet endroit, c’est le nouvel album de ZÖJ : Give Water to Birds.
ÉLARGIR. APPROFONDIR. ARRIVER. Ces trois mots flottent comme un mantra sur l’univers de ZÖJ. Depuis 2016, Gelareh Pour et Brian O’Dwyer y poursuivent la même quête : effacer les frontières, celles du son et du silence, mais aussi celles du passé et du présent, de l’Orient et de l’Occident. Ils ne jouent pas simplement de la musique : ils tiennent une conversation. Entre leurs mondes. Entre leurs instruments. Entre eux et nous.
Leur premier album, Fil O Fenjoon (2023), avait déjà laissé une trace profonde. Il s’était imposé comme une évidence : numéro un du Australian Wettest 100, prix d’excellence en pratique expérimentale aux APRA AMCOS Art Music Awards 2024. Mais Give Water to Birds est autre chose. Un élargissement. Un approfondissement. Un mouvement vers l’inconnu.
Ce disque est né d’un instant imprévu, comme souvent dans les grandes œuvres. Aux Hello Daydreamer Studios, Gelareh, Brian, et le guitariste Brett Langsford improvisent, sans plan. Un micro laissé ouvert près de la fenêtre de la salle de bain capte le chant involontaire des oiseaux. Dans beaucoup d’albums, ces oiseaux auraient été effacés au montage. Chez ZÖJ, ils deviennent co-créateurs. Ils ne sont pas décor. Ils sont matière sonore. Tout sur cet album est façonné par cette même philosophie : rien n’est superposé pour l’effet. Tout coexiste, de façon autonome mais entrelacée. Un son respire l’autre.
On n’écoute pas Give Water to Birds. On s’y abandonne.
Caspian — 08:10
Tout commence dans un bleu profond. Celui de la mer Caspienne, que ZÖJ peint sans pinceau, juste avec des cordes frottées, des frappes de batterie en suspens, et cette voix de Gelareh Pour, si proche et pourtant venue de si loin. Dans ce morceau, l’espace est liquide. Il respire. Des échos marins vibrent comme des épaves oubliées sous la surface. La guitare de Brett Langsford, d’abord discrète, scintille comme la lumière qui danse sur l’eau. Le morceau s’étend, se rétracte, s’étend encore. La mer s’avance et se retire sur la grève de notre conscience.
Forever Tehrani — 05:14
Changement de latitude. Ici, l’album quitte la mer pour la ville. Une ville à moitié réelle, moitié fantasmée : Téhéran. Brian O’Dwyer y frappe ses tambours comme s’il écoutait la circulation lointaine, le rythme sourd du métro, le bourdonnement des marchés. Gelareh y chante en filigrane, sa voix est un fil d’or sur le béton. La guitare de Brett trace des lignes lumineuses qui apparaissent puis disparaissent, comme des lucioles dans la nuit. Dans Forever Tehrani, l’âme de la métropole tremble d’une énergie sous-jacente, mais sans jamais rompre le voile de douceur qui recouvre tout l’album.
Tasian — 07:48
Ici, tout se fait plus abstrait. Tasian est un labyrinthe de sons. Gelareh Pour joue sur les timbres persans de son kamancheh, qui se met à pleurer, rire, parler. On est ailleurs. Hors du temps. Même les oiseaux, qu’on perçoit au loin, se taisent un moment, comme pour écouter.
Hours of ripened grapes — 10:38
C’est le cœur battant du disque. Plus de dix minutes où chaque seconde semble fermenter, comme ces raisins mûrs du titre, jusqu’à devenir du vin sonore. Le morceau avance par lente poussée, émaillé de respirations, de pauses, d’étirements. Ici, la voix de Gelareh se fait prière. Elle appelle, chuchote, presque implore. Par moments, des oiseaux chantent, captés par ce micro laissé ouvert près de la salle de bain des Hello Daydreamer Studios. Mais ce chant d’oiseau n’est pas “rajouté”. Il fait partie de la musique, au même titre qu’une cymbale ou qu’une corde pincée.
On our little balcony — 02:09
Cette piste est une pause hors du flux musical. Pas de mélodie développée ici, mais une voix seule, lisant un texte — probablement un poème persan — avec douceur et gravité. La musique cède la place aux mots. On entend l’accent, la respiration, le grain même de la voix, comme si on était vraiment sur un petit balcon, penché vers la ville. C’est un moment de proximité extrême, fragile et intense, où ZÖJ nous invite à écouter autrement : le silence, le langage, le frémissement du monde. A la fin, les oiseaux, encore eux, planent au-dessus de ces quelques instants, filant le lien entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’humain et le ciel.
Marbles for Kaylie — 07:52
L’album se termine comme il a commencé : dans la fluidité. Mais cette fois, la guitare de Brett se fait plus lyrique, presque tendre. Elle raconte, peut-être, l’enfance. Les billes de Kaylie roulent et s’entrechoquent sous nos paupières closes. La batterie de Brian se fait battement de cœur, simple et droit. Les oiseaux sont toujours là, mais plus discrets, comme s’ils s’éloignaient, battant des ailes vers un autre horizon.
Give Water to Birds n’est pas un disque “expérimental” dans le sens froid du terme. Il est sensuel. Il est habité. Il capte non seulement le son des instruments, mais aussi celui de l’air, de la terre, de la lumière. C’est une musique qui écoute autant qu’elle parle. Ancré dans l’interculturalisme, ZÖJ s’inscrit dans une vision moderne et globale : celle d’une collaboration durable entre les cultures, contribuant à écrire la nouvelle musique australienne. Cette conversation est en cours.
Enregistré live aux Hello Daydreamer Studios par Myles Mumford, Give Water to Birds porte la voix de la poésie persane : Siavash Kasraie, Ahmed Reza Ahmadi, Shams Langeroudi, Freydoon Moshiri, Hushang Ebtehaj. On sort de l’écoute de ce disque comme après un rêve dont on peine à s’extraire. Plus rien n’est pareil. Même le silence. Car ZÖJ ne propose pas seulement de la musique. ZÖJ propose une façon d’habiter le monde. Et soudain, le silence est devenu le chant d’un oiseau.
Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !
Sur cette photo, trois artisans du son : Brett Langsford à la guitare, Gelareh Pour au kamancheh et au chant, Brian O’Dwyer aux percussions. Ensemble, ils forment ZÖJ, un trio australien qui repousse les frontières entre cultures, silences et paysages sonores. Leur musique est une conversation vivante entre Orient et Occident, instruments traditionnels et textures modernes, où même le chant des oiseaux trouve sa place. ZÖJ ne joue pas seulement des notes : ils sculptent l’air, invitant l’auditeur à habiter le moment présent.