Le groupe BaBa ZuLa, figure incontournable de la scène psychédélique d’Istanbul, revient avec un album audacieux et captivant, İstanbul Sokakları (Les Rues d’Istanbul). À travers cet opus, la formation turque continue de surprendre en explorant des territoires sonores peu communs, alliant tradition musicale turque et modernité. Avec un cocktail unique de percussions locales, de saz électrique, d’effets électroniques et de chants mixtes, BaBa ZuLa nous immerge dans une Istanbul à la fois ancienne et résolument tournée vers l’avenir.
Depuis sa fondation en 1996, BaBa ZuLa incarne une vision singulière : réinventer le patrimoine musical turc avec des éléments contemporains. Comme l’explique Murat Ertel, cofondateur du groupe et joueur de saz, ‘nous honorons le passé, mais nous vivons au XXIe siècle, et nous avons accès à tout le monde’. Cette phrase reflète parfaitement l’essence du groupe, qui se nourrit des racines profondes de la musique folklorique turque pour mieux les métamorphoser en rythmes hypnotiques et en paysages sonores modernes.
Les titres de l’album, tel que Yok Haddi Yok Hesabı (Pas de Limites, Pas de Calcul), plongent dans des méditations de groupe où la rythmique percussive ininterrompue se mêle aux envolées du saz électrique d’Ertel. Cette approche rend les morceaux aussi envoûtants qu’imprévisibles, construisant un univers à la fois ancestral et avant-gardiste, où l’auditeur est invité à se perdre dans les vibrations de la ville.
La musique de BaBa ZuLa se distingue par son éclectisme : darbukas, kaşıklar, basses grondantes et glitchs électroniques créent un alliage sonore unique, où chaque instrument joue son rôle dans la construction d’une Istanbul sonore. Le groupe ne s’arrête pas aux sonorités purement acoustiques ; il les redéfinit en intégrant des effets électroniques et des modulations dub. Le saz, cet instrument à cordes traditionnel turc, est électrifié pour déployer des ambiances mystiques, symbolisant l’alliance entre innovation et patrimoine, un concept au cœur de l’identité de BaBa ZuLa.
Levent Akman, autre membre fondateur et multi-instrumentiste, évoque cet esprit d’expérimentation qui fait du groupe des pionniers : ‘Nous brisons les frontières établies par ceux qui préfèrent l’acoustique pure et rejettent l’électrique’. Ce refus des conventions musicales a valu à BaBa ZuLa une renommée internationale, attirant même des artistes comme Nick Cave et les membres du groupe culte allemand Einstürzende Neubauten.
Dans İstanbul Sokakları, les quatre ‘taksims‘ – morceaux instrumentaux traditionnellement improvisés – constituent l’âme de l’album, enrichis par des enregistrements de terrain capturant les bruits d’Istanbul. Chaque morceau raconte une histoire sensorielle : Bosphorus Cura Taksim nous transporte sur le Bosphore avec des sons de klaxons de bateaux et de mouettes, tandis que Çarşı Pazar Bağlama Taksimi dépeint l’effervescence d’un marché animé. Ertel, inspiré par son amour pour l’enregistrement de sons quotidiens, a aussi inclus des archives historiques, nous rappelant que cette ville, bien plus qu’un lieu, est une symphonie en constante évolution.
Le groupe a modernisé le concept de taksim en utilisant des synthétiseurs pour jouer les notes fondamentales, une pratique autrefois exclusivement acoustique. « C’est une manière nouvelle de jouer les taksims, et c’est sans doute l’avenir de cette tradition », explique Ertel. En embrassant cette approche, BaBa ZuLa réaffirme sa place d’avant-garde, redéfinissant la musique turque pour une nouvelle ère.
Plus qu’un simple album, İstanbul Sokakları est une déclaration politique. Dans le morceau Arsız Saksağan (Pie Effrontée), BaBa ZuLa critique ouvertement les injustices du capitalisme et l’avidité des élites mondiales. ‘La rapacité des classes dirigeantes, qui exploitent chaque ressource vivante, nous frappe tous’ confie Ertel. Le morceau dénonce également les atteintes à la liberté de la presse, une réalité particulièrement sensible dans le contexte turc actuel.
En contraste avec cette dénonciation sombre, Yok Haddi Yok Hesabı porte un message d’espoir et de résilience. Aux paroles empreintes de désillusion d’Ertel répondent les mots d’Esma Ertel, chanteuse et partenaire de vie de Murat, qui rappelle la valeur de la vie et de l’intégrité. ‘Même sous pression, la résistance est essentielle pour nous rappeler le sens de l’existence’ affirme-t-elle, appelant à se souvenir de ce qui compte réellement dans un monde en perpétuelle agitation.
BaBa ZuLa, en refusant de se conformer aux diktats de la tradition stricte et de la modernité sans âme, nous offre avec İstanbul Sokakları une œuvre engagée, introspective et infiniment poétique. Ce voyage sonore dans les ruelles d’Istanbul fait écho aux luttes, aux joies et aux mystères d’une ville emblématique. BaBa ZuLa ne se contente pas de nous montrer la Turquie contemporaine ; ils nous en donnent une version rêvée, enrichie par une myriade d’influences et de perspectives.
L’album İstanbul Sokakları est à la fois une fresque musicale et un acte de résistance. Il incarne l’essence même de BaBa ZuLa : un groupe qui, en alliant le passé et le présent, continue à redéfinir les frontières de la musique turque. Dans ce monde en perpétuelle transformation, ils nous rappellent, par leurs notes et leurs mots, que la culture et l’identité sont vivantes, dynamiques et toujours ouvertes à la réinvention.
Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !
Baba Zula, groupe incontournable de la scène musicale d’Istanbul, incarne un mélange audacieux de tradition et d’expérimentation sonore. Fondé en 1996 par Murat Ertel, Levent Akman et Emre Önel, le groupe fusionne des racines de musique turque et orientale avec des influences dub, reggae, rock psychédélique et électronique. Baptisé Oriental Dub, leur style est une immersion envoûtante dans un univers où se croisent les rythmes modernes et les traditions anciennes.
Né d’un projet initial de bande sonore pour le film Tabutta Rövaşata, Baba Zula est rapidement devenu un projet artistique à part entière, captivant le public turc et international. Leur musique, souvent accompagnée de performances scéniques mêlant danse, poésie, et peinture en direct, dépasse le simple concert pour devenir une expérience audiovisuelle totale. Le groupe se distingue également par sa collaboration avec des artistes de renommée mondiale, tels que Alexander Hacke, Jaki Liebezeit, et Mad Professor, enrichissant constamment son univers sonore.