Au moment où Thomas Bücker signe un mix exclusif pour Solénoïde – un SolénoMix – on a choisi de remonter le fil du temps jusqu’en 2012 pour réécouter II, deuxième album de son projet énigmatique Bersarin Quartett. Et quel meilleur écrin que cette réédition en vinyle transparent, posée délicatement sur la platine, pour se laisser engloutir dans une mer d’ombres sonores et de lueurs suspendues ?
Ce disque n’est pas un simple retour : c’est une réapparition, comme si une ville fantôme s’était doucement remise à vivre sous la lumière oblique d’une comète. II ne reprend pas là où le premier album s’était arrêté, il flotte ailleurs – entre ce que l’on entend et ce que l’on ressent, entre l’évidence et l’insaisissable. Ce n’est pas tant un disque qu’un espace-temps alternatif. Dès les premières mesures de Niemals zurück, une sensation familière s’installe, comme celle d’un souvenir qui ne vous appartient pas tout à fait. Un piano isolé, des textures granuleuses, une brume électronique… On devine un monde, tapi entre les interstices du silence. À travers douze morceaux, Bersarin Quartett tisse une œuvre faite d’ambiances cinématographiques, d’échos contemplatifs et d’élans orchestraux, où la mélancolie se distille sans pathos, comme un filtre lentement déposé sur la réalité.
Si l’on devait donner une couleur à cet album, ce serait celle du crépuscule : ni jour ni nuit, entre-deux fluide, propice à la dérive. Zum Greifen nah, l’un des sommets du disque, est une promenade en apesanteur, à travers un cosmos intérieur où les émotions prennent une densité nouvelle. Les titres eux-mêmes, avec leurs accents poétiques (Perlen, Honig oder Untergang, Einsame wandeln still im Sternensaal), dessinent un lexique de l’intime, à la frontière entre l’onirisme et l’abandon. II réussit un tour de force rare : être profondément humain tout en semblant presque extraterrestre. La comparaison avec Stars of the Lid, Ulver – Perdition City, Cinematic Orchestra ou encore Bohren & Der Club Of Gore est pertinente, mais insuffisante. Bersarin Quartett ne cite pas, il incorpore. Il évoque un passé imaginaire et des futurs possibles, des souvenirs diffus qu’aucune chronologie ne relie.
On entend parfois que certaines musiques ne sont pas faites pour être comprises, mais ressenties. II est l’exemple parfait. Ce n’est pas un album qui se dissèque, mais qui s’habite. Un refuge pour les âmes sensibles, une sorte de station spatiale émotionnelle d’où l’on observe les sentiments comme des constellations. On passe de la gravité douce de Im Glanze des Kometen à l’apesanteur troublante de Keine Angst, avant que Jedem Zauber wohnt ein Ende inne n’achève ce voyage par un lent repli, un retour à soi, lucide mais apaisé. On comprend alors cette phrase qui revient souvent à son propos : “Cette musique pourrait être écrite sur une île déserte ou à bord d’un vaisseau spatial observant notre planète.” À l’écoute de II, le temps se dilate, les sensations se densifient, les repères s’évanouissent. L’album est une sorte d’antidote au bruit du monde, une chambre d’écho suspendue entre ciel et terre.
L’édition vinyle transparent ajoute une dernière touche de magie.
On y voit à travers, mais on n’y voit rien. Tout comme II : translucide mais opaque, limpide mais impénétrable. C’est peut-être ça, la véritable force du Bersarin Quartett : proposer une musique de paradoxes, de contrastes, de contradictions intimes. Une musique où tout semble clair et flou à la fois. Et c’est précisément là, dans cet entrelacs fragile, que l’émotion devient inoubliable. Parce que certains disques ne vieillissent pas – ils changent de forme à chaque écoute. Et II est de ceux-là.
En programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !
Dans une autre vie, il aurait peut-être été astrophysicien ou poète – mais Thomas Bücker a préféré créer des galaxies sonores à explorer les yeux fermés. Graphiste de jour, alchimiste sonore de nuit, il œuvre depuis son bureau-studio EINS_A à Münster, où il façonne aussi bien l’identité visuelle d’un hôtel de charme que des paysages musicaux cinématographiques pour oreilles curieuses.
Derrière le nom énigmatique de Bersarin Quartett, il se cache une quête : celle de l’émotion pure, entre ambient nébuleux et musique de film rêvée. Depuis son premier Yamaha PSR malmené à l’âge de 11 ans jusqu’à son studio 7.1 débordant de synthés et de réverbs numériques, Thomas navigue entre nostalgie analogique et finesse digitale. Il compose comme on écrit un journal intime en stéréo : à coups d’accords suspendus, de bruits épars et de silences qui en disent long.
Sur scène, il préfère l’ombre à la lumière, le cercle intime du son immersif à la frontalité du spectacle. Bersarin Quartett, c’est la bande-son d’un monde intérieur où l’on procrastine avec élégance, où chaque clic peut être une révélation ou une échappatoire… et où la beauté surgit parfois d’une simple fréquence, captée au bon moment.