Ici, nul album au sens traditionnel. Ce que propose Cleo T., c’est un protocole, un rite presque alchimique mêlant un livre de poèmes illustrés, un journal de création, et une œuvre musicale de 55 minutes pour piano amplifié, thérémine et voix instrumentale. Un triptyque où chaque élément dialogue avec les autres, dans un souffle lent et enveloppant, comme si l’on entrait dans un temple de mousse et de verre, où la musique s’écrit avec des feuilles mortes et du vent.

Née dans les murs fertiles de la Fondation Martell à Cognac, cette œuvre est le fruit d’une résidence croisée entre musique et design, mais surtout d’un rêve éveillé de la compositrice. Cleo T., toujours à la frontière entre le visible et l’invisible, ose ici inverser le rapport habituel : ce n’est plus la musique qui accompagne la poésie, mais la poésie qui compose la musique. L’encre devient son, le silence devient battement. Et ce qui naît n’est pas une œuvre finie, mais la sève d’un processus — la coulée lente et sincère d’une création mise à nu. Des Forêts et des Rêves est une œuvre qui ne se livre pas, elle s’épanouit lentement dans l’esprit de l’auditeur. À travers des paysages sonores aux échos prolongés, elle construit des chambres d’ombres et de lumière, où les soupirs de la voix soprano s’entrelacent aux vibrations du piano transformé en guitare onirique, pendant que le thérémine – cet instrument quasi spectral – ajoute une texture éthérée, quasi liquide, aux interstices de l’émotion.

Il y a dans cette œuvre quelque chose de l’ordre de la transe douce, de la promenade spirituelle à la lisière du rêve lucide. On pense à Kate Bush descendant dans un puits de brume, à Sigur Rós jouant sous la pluie d’étoiles d’une forêt nordique, ou encore à une cérémonie oubliée, où la technologie devient instrument chamanique au service de l’intime. Ce projet est une expérience immersive – un parcours initiatique entre concert, performance et rituel. L’influence de son parcours en art dramatique et en Histoire de l’art se ressent dans cette manière unique d’habiter la scène, de faire de chaque apparition un moment suspendu entre réalité et mythe. Le piano devient clairière, la voix, rivière, le thérémine, souffle d’arbres anciens.

Collaboratrice de figures prestigieuses comme John Parish, Robert Wyatt ou Alex Somers, Cleo T. ne se contente pas de marcher dans les pas de ses pairs : elle trace ses propres sentiers. Elle compose également pour des ensembles contemporains comme Ars Nova et fréquente les sphères de la littérature avec des auteurs tels que Zéno Bianu ou Camille de Toledo. Son univers est celui des passerelles : entre musique et image, entre poésie et matière, entre féminin sacré et forêt profonde.

Des Forêts et des Rêves nous dit quelque chose d’essentiel à une époque où tout va trop vite : que le processus vaut autant – sinon plus – que le produit fini. Que l’imperceptible a besoin de temps pour résonner. Et que l’art, lorsqu’il se connecte au vivant, à la lenteur, à l’invisible, peut encore nous faire ressentir, vraiment. Alors fermez les yeux. Écoutez. Respirez. Vous êtes dans la forêt. Vous êtes dans un rêve. Vous êtes dans Des Forêts et des Rêves.

Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !