Sous le ciel vibrant d’Istanbul, là où les minarets semblent danser avec les paraboles et où les vapeurs du Bosphore infusent l’air d’une étrange électricité, un son nouveau gronde. C’est un chaos savamment organisé, une mosaïque de basses lourdes et de mélodies orientales effilochées. C’est l’album Grup Ses & Gökalp K, la dernière odyssée sonore née de l’esprit de deux alchimistes de la scène turque contemporaine.
En 14 titres compressés comme des éclats d’orage dans une bouteille, Grup Ses et Gökalp K réinventent l’idée même du beat oriental. Oubliez les clichés de cartes postales ; ici, le oud se frotte aux syncopes du grime, les rythmes dubstep s’effondrent sous des avalanches de synthétiseurs déformés, et les envolées jungle éclaboussent les murs d’une médina imaginaire, numérique et fracturée.
Dès Marru, ouverture à la beauté crue, le voyage débute comme un mirage sonore. Les nappes saturées montent lentement, gorgées de poussière et de bitume. Puis, Gartlangabak explose dans une transe rythmique où l’Orient semble perforé par des basses caverneuses, nous propulsant dans un marché nocturne traversé par des ombres pressées. La magie de cet album éponyme tient dans l’improbable fusion de traditions millénaires avec les spasmes les plus récents de la culture urbaine globale. Ici, l’écho lointain d’un ney peut se faire engloutir par une basse vrombissante ; là, une rythmique de jungle court sous une pluie de samples orientaux. Le tout dans une architecture sonore parfois brutale, toujours cinématique.
À leurs côtés, des invités amplifient ce kaléidoscope mutant. Sur Hane-i Can, le flow d’Ethnique Punch, rappeur et producteur turc basé à Brême, traverse le morceau comme une incantation urbaine. Elektroliz, où Elektro Hafız et DJ Syr conspirent avec Grup Ses et Gökalp K, devient une sorte de fête souterraine où l’organique et le digital se réconcilient dans une transe étourdissante. Chaque morceau semble être une ruelle différente d’une Istanbul parallèle Okul Terk sonne comme la bande-son d’une échappée d’école sous la pluie, Takatuka Riddim pulse comme un carnaval miniature perdu dans une ruelle humide.
Grup Ses, fort d’une expérience où le breakcore croisait les extraits de cassettes poussiéreuses et les rires captés à la radio, injecte son ADN dans chaque beat : humour acide, tendresse postmoderne, brutalité assumée. Gökalp K, compositeur érudit, apporte à l’ensemble une maîtrise de la texture et de l’espace sonore, héritée de son exploration des musiques électroacoustiques.
Ensemble, ils esquissent une topographie sonore : un empire ottoman de science-fiction où la modernité n’écrase pas le passé, mais le distord, le dérègle, le recycle dans des formes neuves et insaisissables. SOUK Records — bras mutant du label expérimental Discrepant — offre le terrain de jeu parfait pour cet opus : une zone franche où tout peut s’effondrer, muter, renaître dans un maelström sonore captivant.
‘Grup Ses & Gökalp K‘ ne se consomme pas comme un album ordinaire. Il se vit comme une expérience. Fermez les yeux : sentez le choc du béton sous vos pas, le souffle métallique du métro, les parfums d’épices noyés dans l’air électrique. Voyez les couleurs se brouiller sous les néons. Écoutez la ville rêver en saturations et en crépitements. Un album comme un kaléidoscope brisé, un cri tendre venu des interstices du monde moderne.
En programmation dans Solénoïde – Blender Session 68, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !
Né en 2007 au croisement du breakcore et des trésors sonores oubliés, Grup Ses s’est imposé comme un orfèvre du sample, façonnant des beats où l’humour absurde rencontre la mémoire populaire, entre disques rayés et cassettes poussiéreuses. Signé sur les sous-labels mutants de Discrepant (SOUK, Sucata Tapes), il continue de tordre les genres et les époques dans un tourbillon sonore unique.
À ses côtés, Gökalp K — alias du compositeur électroacoustique Gökalp Kanatsız — tisse des paysages sensoriels où beats urbains et textures expérimentales s’entrelacent. Depuis 2011, ce sculpteur de sons brouille les frontières entre musique électronique, art contemporain et création interdisciplinaire, injectant une profondeur inédite à chaque projet.
Ensemble, ils signent une collision vibrante entre tradition hackée et futurisme sauvage.