KRISTEN NOGUES

Marc'h Gouez

Souffle Continu Records - juin 2023

Chronique

Il est des albums qui surgissent du passé comme des murmures venus d’un autre monde, à la fois échos d’un temps révolu et résurgences d’une poésie intemporelle. Marc’h Gouez, premier opus de Kristen Noguès, est de ceux-là. Initialement paru en 1976 sous l’égide de la coopérative Névénoé, ce joyau oublié de la musique bretonne renaît en 2023 grâce à une réédition soignée du label Souffle Continu. Un voyage à travers le rêve, la mémoire et la musicalité libre d’une artiste qui a su tisser un univers hors des sentiers battus.

Pochette de l'album "Marc'h Gouez" par l'artiste Kristen Noguès

Dès les premières notes de Enez Rouz, l’auditeur est convié à une expérience sensorielle unique. Le grincement d’une chaise, le froissement du sol sous des pas hésitants, puis les cordes cristallines d’une harpe celtique qui s’élèvent en une cascade délicate : tout concourt à une immersion immédiate. Kristen Noguès, de sa voix enfantine et diaphane, nous guide vers un ailleurs où la tradition bretonne se mêle à l’onirisme le plus pur.

Noguès n’a jamais cherché à se conformer aux clichés de la musique celtique. Issue d’une famille bretonne installée à Versailles, elle apprend la harpe celtique auprès de Denise Mégevand, tout en s’imprégnant des gwerzioù et sonioù, ces chants immémoriaux de Bretagne. C’est en rejoignant la coopérative Névénoé qu’elle trouve un terrain d’expression propice à sa singularité. Marc’h Gouez en est le témoin vibrant : une œuvre hybride où l’improvisation et l’expérimentation façonnent une atmosphère mouvante et insaisissable.

Chaque morceau de cet album se déploie comme une vignette sonore à part entière. Hunvre se pare d’une flûte aérienne et d’un synthétiseur presque fantomatique, tandis que Ar Gemenerez évoque une comptine médiévale, portée par un violon mélancolique. Quant à Marc’h Gouez, pièce maîtresse de l’album, elle déroule une narration instrumentale entre comptine et musique de chambre, sculptant un paysage sonore en clair-obscur où le temps semble suspendu. Loin des orchestrations flamboyantes d’un Alan Stivell ou des rythmiques festives du folk celtique, Kristen Noguès préfère le dépouillement et l’épure. Elle s’entoure d’une poignée de musiciens – violons, flûtes, piano, zarb iranien – qui viennent ponctuer son jeu de harpe de touches impressionnistes. Le résultat ? Une musique qui ne se laisse jamais enfermer, glissant entre les genres, aussi insaisissable qu’un cheval sauvage – ce Marc’h Gouez qui galope dans les limbes de l’imaginaire breton.

Il aura fallu près d’un demi-siècle pour que cet album, trop longtemps éclipsé, retrouve enfin la lumière. Grâce à cette réédition précieuse, Kristen Noguès nous revient avec sa délicatesse et son mystère intact, offrant à une nouvelle génération d’auditeurs l’opportunité de plonger dans cet univers hors du temps. Car si l’histoire musicale de la Bretagne est jalonnée de figures incontournables, rares sont celles qui, comme elle, ont su conjuguer l’héritage et l’avant-garde avec une telle grâce. À l’écoute de ce disque, on comprend mieux pourquoi la poésie bretonne, selon les mots d’André Breton, résonne comme un enchantement. Un souffle, un murmure, une mélodie suspendue entre ciel et mer : le rêve breton dans toute sa splendeur.

Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !

A propos de KRISTEN NOGUèS

Kristen Noguès n’était pas seulement harpiste, elle était une alchimiste des sons bretons, une exploratrice musicale. Née en 1952 à Versailles, mais profondément ancrée dans l’âme celtique de la Bretagne, elle façonne dès les années 1970 un univers où la tradition se mêle à l’audace.

Soprano cristalline et compositrice visionnaire, elle joue aux frontières du folk, du jazz et de la musique contemporaine, collaborant avec des artistes de tous horizons – de Didier Lockwood à Denez Prigent. Plus présente sur scène qu’en studio, elle réinvente la harpe celtique, lui offrant des dialogues inattendus avec le saxophone ou la contrebasse.

Son parcours, jalonné de créations originales (albums, musiques de films, spectacles), s’interrompt trop tôt en 2007. Mais son héritage musical, vibrant et libre, continue de résonner bien au-delà des festoù-noz.

Photo de l'artiste Kristen Noguès

Solénothèque

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *