Dans les interstices du son, là où la lumière faiblit et où les silhouettes s’allongent en formes insaisissables, Laurent Pernice compose un album de brume et de clair-obscur. Il y a les ombres est une traversée sonore aux confins du perceptible, un espace où les voix murmurent des vérités fragmentaires et où les instruments, détournés de leur usage premier, creusent les strates d’un territoire à explorer sans fin.
Ce nouvel opus de l’ancien membre de Nox ne se contente pas d’une errance solitaire : il convoque un choeur d’ombres, une galerie de voix et d’esprits qui peuplent cette terre musicale mouvante. Alain Damasio, compagnon de longue date au sein du groupe Palo Alto, prête sa voix incantatoire sur des textes taillés dans l’urgence. Judith Juillerat, exploratrice sonore, déroule des nappes spectrales, à la frontière du murmure et de l’envoûtement. Black Sifichi, avec son spoken word abyssal, ancre le projet dans une noirceur tangible. Enfin, la jeune plume déchirante d’Héloïse Brézillon insuffle une résonance nouvelle à ces ombres qui nous guettent.
Mais Il y a les ombres n’est pas seulement un jeu de contrastes vocaux. Il est un laboratoire où chaque son devient texture, où chaque silence vibre. Derriere ces voix, un arrière-monde musical foisonne : la harpe, la cithare et le field recording ouvrent Dans la forêt sur une inquiétante errance primitive, tandis que les guitares lapsteel de Nicolas Dick transpercent l’obscurité de leurs reflets fantomatiques (The Lament of Lar Gibbons). Jacques Barbéri insuffle une touche singulière avec son saxophone génétiquement modifié, ou avec un cor de chasse (La Nuit venue), troublant l’oreille autant qu’il déstructure l’harmonie attendue.
Ce travail de décorticage du son ne pouvait qu’atterrir entre les mains d’un label aussi rare qu’exigeant. Le Label Beige, en une décennie, n’a produit que cinq albums, préférant la qualité à la fréquence, et offrant ainsi un écrin idéal à cette fresque musicale insaisissable.
Il y a les ombres est une œuvre qui s’insinue sous la peau, une traversée sensorielle qui réveille ce qu’il y a de fuyant et d’obscur en nous. Un album qui ne se laisse pas dompter à la première écoute, mais qui promet d’happer l’auditeur dans son vertige insondable. Entrez, si vous l’osez !
En programmation dans Solénoïde – Grande Boucle 58 et Solénoïde – Mission 236, émissions des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !
Laurent Pernice, figure emblématique et discrète de la scène post-industrielle française, est un artiste dont le parcours est marqué par une quête constante de dépassement des frontières musicales. Ancien membre du groupe Nox, il a su imposer sa vision singulière en explorant les possibilités offertes par le sampler et l’électronique. Depuis son premier album Détails en 1988, il a construit une discographie riche et éclectique, comptant une vingtaine d’albums publiés en France et à l’étranger, notamment en Allemagne, Russie et Italie.
Son approche musicale, oscillant entre collages éthiques et sonorités industrielles, se nourrit de collaborations diverses, que ce soit avec des artistes comme Marcus Schmickler, l’écrivain Alain Damasio, ou le groupe expérimental Palo Alto. Parallèlement, il contribue régulièrement à des projets artistiques multidisciplinaires avec des collectifs comme Artonik ou Pixel 13. En 2014, le label Atypeek Music a remis en lumière l’intégralité de sa discographie sur les plateformes numériques, soulignant la pertinence et l’actualité de son œuvre.
Laurent Pernice se distingue par son ambition de rendre le monde plus poétique, abolissant les frontières entre les genres musicaux et explorant sans relâche de nouveaux territoires sonores.