MEMORY SCALE

Chapter Five

Audiobulb - janvier 2025

Chronique

Fermez les yeux. Vous êtes à l’orée d’un territoire où le silence a une mémoire. Un monde suspendu où les sons n’arrivent pas, ils se réveillent. Chapter Five, le dernier album de Memory Scale, est une expérience auditive cinématographique, une succession de chambres invisibles, reliées par un fil de lumière, fragile et brûlant.

Pochette de l'album "Chapter Five' par Memory Scale

Chaque titre est un seuil. Chaque fragment est un souvenir recomposé à partir de matières sonores oubliées : réverbérations, motifs brisés, textures filtrées, nappes mouvantes. Il faut entrer sans carte. Marcher sans repères. Se laisser désorienter.

Tout commence ici. Moins d’une minute et demie, et pourtant tout y est : tension, retrait, annonce. Dans ‘Causes & Effects‘, les sons sont comme des signes tracés dans la poussière : il faut s’en approcher pour les deviner. Ce n’est pas un début — c’est un appel, une vibration initiale, comme un souffle qui précède la parole. Le monde s’ouvre, lentement.

Dans ‘A Late Reading‘, les images se forment toutes seules. Une bibliothèque abandonnée. Une fin d’après-midi où la lumière glisse sur les étagères.  C’est un morceau de lecture intérieure, de mémoire tactile. On croit entendre les pages froisser l’air. Les harmonies se déposent comme une fine poussière dorée. La mélodie est en veille, comme une lampe oubliée allumée dans une pièce vide. 

Sense Data est un gouffre doux. Un tunnel d’impressions, floues mais précises, comme si la réalité s’était évaporée et qu’on en ressentait encore les contours par le souffle. La basse semble descendre un escalier invisible. Les claviers se déforment comme des vitres embuées. Ici, on n’écoute plus, on ressent par diffraction, par écho, par transparence. L’audition devient tactile. Presque liquide. Avec ‘Crystal Ride’, le monde devient un vitrail en mouvement. Les sons y brillent par diffraction, comme des éclats de mica. On est projeté dans une bulle flottante, à mi-chemin entre une chute libre et une montée lente dans la stratosphère de l’intime. Le temps ne dure plus — il scintille. Tout est fragile, et c’est cette fragilité lumineuse qui nous touche.

Les titres s’enchaînent comme des corps célestes. ‘Syntropy’ : un organisme vivant, fait de battements synthétiques et de chaleur diffuse. Epicycloid : les lignes orbitent, se croisent, se fuient. Pluto / Léo’ : collision poétique entre une planète lointaine et une force animale, un rêve de fusion stellaire. On se perd dans ces géométries, mais se perdre ici, c’est se retrouver autrement. ‘But That Will Pass‘, peut-être le cœur battant de l’album. Un morceau qui ne dit pas grand-chose, mais qui nous écoute. Une musique qui reste avec nous dans l’ombre. Ce que Castagné capte ici, c’est la grâce mélancolique de l’impermanence : le beau, justement parce que ça s’efface.

On ne joue pas cet album. On l’habite. On l’arpente comme une maison de verre où les reflets sont plus vrais que les objets. Chapter Five n’est pas un disque concept, c’est un lieu invisible : une salle d’attente entre passé et futur, entre rêve et rémanence. Memory Scale, en alchimiste du sensible, y agence claviers texturés (Wurlitzer, Rhodes), basses brumeuses et souvenirs analogiques pour générer des images mentales d’une clarté troublante. C’est laisser la musique écrire en nous des phrases qu’on n’avait pas les mots pour formuler. C’est accueillir le doute, la beauté de ce qui tremble, l’élégance de ce qui s’efface. Et si la vérité d’un disque résidait dans ce qu’il nous fait imaginer — plutôt que dans ce qu’il nous dit ?

Prochainemnt en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !

A propos de MEMORY SCALE

Derrière Memory Scale, on trouve Arnaud Castagné, alchimiste sonore originaire de Bordeaux. Son projet est une invitation à l’introspection lente, où chaque note semble réveiller une image oubliée. À la croisée de l’ambient cinématographique et de l’electronica introspective, il tisse une pop contemplative faite de textures vibrantes, de claviers liquides et de souvenirs synthétiques. Avec lui, la musique ne s’écoute pas seulement — elle projette des mondes.

Photo de l'artiste Memory Scale alias Arnaud Castagné

Solénothèque

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