MIDORI HIRANO & COH

Sudden Fruit

Ici d'Ailleurs - Mind Travels - Avril 2025

Chronique

Il arrive parfois qu’un disque ne se contente pas de s’écouter, mais qu’il respire. Qu’il palpite à votre oreille comme une entité vivante, échappée d’un laboratoire onirique où les machines ont appris à murmurer. Sudden Fruit, né de l’union entre Ivan Pavlov – alias CoH – et la pianiste japonaise Midori Hirano, est de ceux-là. Une œuvre rare, comme un fruit mûri dans l’obscurité d’un jardin secret, aux confins de l’organique et du synthétique.

Pochette de l'album "Sudden Fruit" par les artistes CoH & Midori Hirano

D’un côté, Midori Hirano, musicienne de l’intime, dont les notes tombent comme des gouttes d’encre dans un silence tendu, épuré à l’extrême. De l’autre, CoH, électron libre de l’électronique expérimentale, sculpteur de fréquences, artisan du glitch et des textures abrasives. Ensemble, ils ne fusionnent pas : ils coexistent, comme deux états de la matière musicale. À travers Sudden Fruit, leur collaboration devient une lente germination, une photosynthèse sonore où chaque fragment semble pousser dans une direction inattendue. Dès les premières secondes de  Wave to Wave, on assiste à une danse de particules : les touches du piano y sont humides, suspendues, réverbérées, comme si elles venaient d’être jouées dans un rêve, tandis que les nappes électroniques rampent doucement en contrebas, comme des racines numériques s’infiltrant dans le sol de la mémoire.

Sudden Fruit est un album de seuils, d’entre-deux. Il est ce moment juste avant l’aube, où les ombres se diluent dans la lumière, ce clignement d’yeux entre veille et sommeil. Mirages, Memories, bijou introspectif, en est l’exemple parfait : chaque silence devient un souffle, chaque note un écho de ce qui aurait pu être dit, mais ne l’a pas été. L’émotion est là, toujours à la lisière, contenue, et pourtant bouleversante. Loin de toute forme de grandiloquence ou de démonstration technique, l’album respire une humilité précieuse. Il ne cherche pas à briller, il cherche à toucher. Il ne s’impose pas, il s’insinue.

Ce disque est aussi le fruit d’un questionnement. Que reste-t-il de l’humain dans un monde de plus en plus façonné par l’artifice ? À cette question, Sudden Fruit répond sans mots, avec ses propres moyens : par la texture, la résonance, le détail. L’électronique de CoH n’est jamais froide, jamais mécanique ; elle semble presque respirer. Et le piano de Midori Hirano, même lorsqu’il est déconstruit ou déconfiné dans l’abstraction, n’en finit pas de raconter une histoire, ou peut-être plusieurs, superposées comme des strates temporelles. Dans cet album, la machine ne remplace pas : elle prolonge. Elle amplifie le murmure, elle dilate l’émotion, elle fait résonner le silence. Cette hybridation n’est pas un compromis, c’est une nouvelle forme d’humanité. Une humanité future, fragile et lumineuse, encore en gestation.

Inscrit dans la série Mind Travels du label Ici d’Ailleurs, Sudden Fruit s’affranchit de tout genre. Ambient ? Peut-être. IDM ? Par endroits. Musique contemporaine ? Par son approche. Mais l’album est avant tout une expérience sensorielle, une cartographie de l’insaisissable. Chaque piste agit comme une chambre d’écho. On s’y perd, on s’y retrouve, on y entend parfois battre le pouls d’un monde parallèle. Là où d’autres albums proposent des mélodies, celui-ci propose des états d’âme. Des ambiances qui s’infiltrent lentement, comme des parfums, comme des souvenirs sans origine.

Et si Sudden Fruit était, en fin de compte, un miroir ? Un miroir sonore, tendu entre deux artistes qui se regardent, se reconnaissent, et donnent forme à l’intangible. Un fruit soudain, peut-être. Mais mûri longuement dans le silence et la patience. Un disque à écouter non pas pour comprendre, mais pour ressentir. Car il ne dit pas ‘regarde comme je suis fait‘, il chuchote plutôt : ‘écoute ce que tu deviens en m’écoutant‘.

Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !

A propos de MIDORI HIRANO & COH

Originaire de Kyoto et installée à Berlin, Midori Hirano façonne une musique comme on tisse une étoffe rare : entre finesse acoustique et matières électroniques. Pianiste de formation classique, elle transforme l’instrument en laboratoire intime où se mêlent cordes frémissantes, synthèses subtiles, textures de terrain et harmonies suspendues. Que ce soit sous son nom ou sous l’alias MimiCof, elle explore les marges sensibles du son avec une élégance rare, toujours en équilibre entre structure et évanescence. 

Derrière le pseudonyme COH, se cache Ivan Pavlov, électron libre venu de Russie, désormais installé en France, et architecte sonore de l’extrême précision. Scientifique de formation, il sculpte la matière sonore avec l’exigence d’un mathématicien et la sensibilité d’un poète post-technologique. Depuis la fin des années 90, COH creuse le sillon d’une musique électronique expérimentale qui dérive de la post-techno vers le glitch, l’ambient et l’abstraction acoustique, en explorateur insatiable. Collaborateur des figures cultes Peter Christopherson (COIL), Cosey Fanni Tutti ou Abul Mogard, et publié sur des temples du son comme Raster-Noton ou Editions Mego, COH trace une œuvre radicale et visionnaire, où chaque vibration est pensée comme un micro-univers en suspension.

Photo des artistes Midori Hirano (au premier plan) et CoH (Ivan Pavlov)

Solénothèque

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