NESLES

Barocco

Walden Musique - Mai 2025

Chronique

Il est des albums comme des rêves : on y entre sans frapper, et l’on n’en ressort pas tout à fait pareil. Barocco, le dernier opus de NESLES, appartient à cette étrange famille. C’est un disque-miroir, déformant et révélateur, qui capte la lumière dans ses irrégularités. Une œuvre taillée à même l’émotion, comme une perle asymétrique ramassée au fond d’un océan intime.

Pochette de l'album "Barocco" par l'artiste Nesles

Dès les premières mesures de Beckett, l’auditeur comprend qu’il va falloir lâcher prise. NESLES n’écrit pas des chansons : il sculpte des absences, il cisèle des silences, il tend des pièges à l’âme. Il y a dans ce morceau-manifeste une âpreté magnifique : un cri contenu, un refus de la joliesse, une exigence de vérité brute. NESLES y convoque Samuel Beckett non comme référence, mais comme frère d’arme — celui qui, exilé de sa langue natale, trouva dans l’épure française une manière de toucher au nerf du monde. NESLES fait de même : en français, il traque la beauté jusque dans ses failles.

Mais ne vous y trompez pas : Barocco n’est pas un album noir. Il est crépusculaire, oui, mais d’un crépuscule incandescent, comme un ciel chargé d’orage et de promesses. 1976, porté par un Dominique A en apesanteur, donne à entendre la nostalgie non comme un refuge mais comme un matériau brut, presque organique. Chaque chanson est un polaroïd jauni, chaque mot, une empreinte sur la buée d’une vitre d’enfance. Là où d’autres cherchent la perfection du lisse, NESLES préfère la rugosité du vivant. Carquois, morceau fleuve et sublime, laisse le temps s’étirer comme une rivière souterraine. Les chœurs éthérés de Blaubird et Gabriela Etoa viennent en contrepoint d’une mélancolie dense et sensuelle. C’est du spleen qui respire, de la tristesse qui palpite.

Et que dire de ce bestiaire fantastique — bombyx, phoques, panthères — qui peuple les chansons comme des chimères familières ? NESLES ne décrit pas, il évoque. Il ne raconte pas, il suggère. Antilopes, Canon Fleur, Panamerican (à Sarah Bernhardt) : autant de titres qui sonnent comme des invitations à un voyage intérieur, quelque part entre un roman graphique d’Enki Bilal et un poème murmuré par une voix intérieure qu’on croyait oubliée. Dans Agfa Chromes, l’actrice Juliette Plumecocq-Mech pose sa voix comme on pose une main sur une épaule. C’est une chanson qui sent la photo argentique, l’odeur du papier un peu collant des albums de famille, le cliquetis mécanique d’un projecteur Super 8. NESLES y mêle tendresse et vertige, comme toujours. Et puis il y a cette phrase, simple et bouleversante : ‘Même à la mine, quelque chose brille’. Voilà peut-être la clé de Barocco. Un disque qui descend au fond de soi, qui gratte la roche, qui cherche — et trouve — l’étincelle. C’est une musique qui n’a pas peur du laid, de l’inconfort, du silence. Une musique qui préfère la vérité à l’apparat.

Avec Barocco, NESLES ouvre une faille dans le langage musical français contemporain. Il rappelle que la chanson peut encore être un art noble, exigeant, bouleversant. Un art baroque au sens premier du terme : irrégulier, extravagant, mais surtout profondément humain. Et si l’on devait en retenir une image, ce serait celle-ci : un homme seul face à sa guitare, un chœur spectral dans son dos, et devant lui, une route sinueuse bordée de fantômes, d’animaux totems, de souvenirs en Technicolor. Un homme qui marche, tombe, se relève, et recommence. Comme Beckett. Comme la vie. Comme la chanson.

Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !

A propos de NESLES

Auteur-compositeur-interprète français, NESLES trace un sillon singulier entre chanson poétique, rock habité et rêverie onirique. Il façonne des disques sensibles et profonds (Permafrost, Barocco) qui marient dépouillement et vertige. Fondateur des Soirées et du Festival Walden, artisan de l’intime et fervent passeur de musiques, il fédère autour de lui une constellation d’artistes indépendants. Chez lui, chaque chanson est un territoire, chaque concert, une traversée.

Photo de l'artiste Nesles

Solénothèque

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *