Avec Efflorescences, Nouvelles Lectures Cosmopolites (NLC) signe une cartographie mentale inversée, un album-fantôme qui manipule la mémoire, les textures et le temps comme d’autres jouent avec la lumière. Quatre longs morceaux — ou plutôt quatre états — tissent cette fresque ambient électroacoustique. Dix-sept anciens thèmes de NLC y sont manipulés, déformés, joués à l’envers. Le résultat : une musique suspendue, habitée par ses propres ombres. Ni souvenir, ni avenir. Juste un présent flottant, comme dans un rêve mal réveillé.
Tout commence par un frisson. Une vibration sourde, presque infra, puis des nappes lentes, comme la lumière filtrée par une eau trouble. La première piste ne s’introduit pas. Elle se découvre lentement, comme un territoire enfoui sous des années d’oubli. On avance à tâtons. Les sons respirent, se contorsionnent, murmurent. Rien ne semble stable. Tout glisse. C’est une musique de seuil, où chaque note hésite à apparaître. On est à la lisière de quelque chose — sans jamais savoir si l’on entre ou si l’on sort.
La deuxième pièce donne davantage de corps à cette matière. Les sons se densifient, comme si les fragments de mémoire prenaient forme. Mais ce n’est pas une forme nette. C’est une architecture d’ombres, un édifice en ruines reconstruit dans le brouillard. Des battements profonds résonnent comme les échos d’un cœur minéral. Les textures se mêlent en spirales harmoniques, pénétrantes et mouvantes, souvent frôlées par une mélancolie qui ne dit pas son nom. On y entend des réminiscences : un motif perdu, un souffle de piano, un reflet d’orgue électronique. Mais chaque fois que l’on croit saisir un sens, il se défait. NLC maîtrise ici l’art du décalage subtil, du presque-rappel, de l’idée qui s’effondre au moment d’être comprise.
Ici, le temps se dilue. Cette troisième efflorescence n’en est pas une : c’est une floraison à l’envers. Les sons remontent comme des bulles d’air dans une mémoire noyée. L’écoute devient tactile. On ne distingue plus les sons entre eux — on les ressent dans le corps, comme des caresses électromagnétiques. Il y a quelque chose de presque liturgique, dans ces successions de nappes, de pulsations sourdes, de silences habités. Mais c’est une liturgie sans foi, sans langue. Seulement une sorte de gravité flottante. Le poids de l’invisible. C’est la piste la plus immobile — et paradoxalement la plus vivante. Comme si le mouvement ne venait plus des sons, mais de l’auditeur lui-même, dérivant à l’intérieur.
Dans cette dernière pièce, que l’on pourra bientôt entendre sur Solénoïde – Grande Boucle 60, le cycle se referme sans se clore. C’est la piste la plus longue, mais aussi la plus ouverte. Comme un dernier rêve avant extinction. Les éléments des morceaux précédents y reviennent, transformés, méconnaissables. Certains fragments semblent tournoyer, d’autres s’enfoncent dans des abysses inexplorés. Une matière sonore labyrinthique, où chaque détour crée de nouvelles chambres d’écho. La musique devient cosmique au sens premier du terme : elle n’est plus humaine, ni subjective. Elle est le reflet d’un monde sans contour, un monde qui se pense en dehors de nous, mais dans lequel on flotte malgré tout. À la fois dépossédé… et pleinement habité.
Efflorescences n’est pas un album à thème, ni une compilation de morceaux. C’est un lieu sonore mouvant, un jardin abandonné dans lequel les sons continuent de pousser, en silence, en secret. NLC y révèle une maîtrise rare du temps étiré, du détail sonore et du non-événement fertile. Dans ce labyrinthe acoustique, l’auditeur n’est pas guidé : il est absorbé, transformé. Ce que l’on croyait être de l’ambient devient du récit. Ce que l’on croyait figé devient vivant. Chaque écoute recompose une nouvelle carte — ou une nouvelle cicatrice. Laissez Efflorescences vous cueillir. Laissez ses ondes lentes remonter en vous comme une mémoire non vécue. Car c’est bien cela, au fond, que propose NLC : non pas de se souvenir, mais d’imaginer le souvenir d’un monde qui ne nous a jamais appartenu.
Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !
Nouvelles Lectures Cosmopolites (NLC) est un projet musical fondé en juillet 1989 à Céret, France, par Julien Ash et Angustère. Après le départ d’Angustère en 1990, Julien Ash a poursuivi NLC en solo, explorant des compositions plus mélodiques. L’album Allegro Vivace marque le début de la période néo-classique de NLC, qui se poursuit encore aujourd’hui. Après une pause en 2007, le projet a été réactivé en 2021 en tant que duo avec l’arrivée d’Aloïs L.
NLC se distingue par une approche expérimentale, mêlant ambient, dark ambient, darkwave, folk et néo-classique. Le projet est reconnu pour ses compositions atmosphériques et ses explorations sonores innovantes.