Parfois, la musique ne nous emmène pas quelque part. Elle nous ramène.
Écouter A Way to Hermopolis, c’est plonger dans une sorte de vertige temporel, une spirale sonore où les sons du présent deviennent des récepteurs de voix anciennes. OUGARIT – ce duo audacieux formé du saxophoniste Alain Angeli et du bassiste Cyrille Marche – ne joue pas le jazz pour dialoguer avec l’histoire. Il se laisse traverser par elle, comme un canal vibratoire reliant le monde d’aujourd’hui à celui d’Ougarit, d’Éphèse, de Delphes ou de Milet.
Dès la première note de Calliope, l’oreille perçoit une anomalie délicieuse : ce n’est pas un simple morceau, c’est une évocation. On entre dans un espace sonore où la basse en nylon sonne comme un tambour d’argile enfoui, et où le saxophone murmure des noms que personne n’a prononcés depuis deux millénaires. La muse — Calliope — ne parle pas en mots : elle respire à travers les textures, les souffles, les pauses. Ici, la mémoire est rythmée, improvisée, caressée. Cyrille Marche, en bâtisseur d’ambiances profondes, a façonné un instrument hybride qui donne au passé un grain neuf. Alain Angeli, quant à lui, ne joue pas du saxophone : il s’en sert comme d’un roseau creux par lequel passent les voix perdues. Le résultat ? Une archéologie sonore aussi mystique qu’organique.
Loin d’une démarche folklorique ou académique, OUGARIT invente un nouveau genre : le jazz palimpseste, un langage où chaque note semble avoir été effacée, réécrite, puis effacée à nouveau. Les mélodies antiques — collectées dans des manuscrits, des papyrus, des stèles — sont recréées, non comme des reconstitutions, mais comme des interprétations d’âme. On y retrouve l’ombre des compositeurs oubliés : Mésomède de Crète, Seikilos, Timothée de Milet… mais ces noms ne sont pas invoqués pour faire savant : ils sont matière vivante. À travers eux, c’est toute une question qui se pose : que reste-t-il de nous, sinon des vibrations ?
Hermopolis : la ville de Thot, dieu du verbe, de la sagesse, de l’invisible. Ce n’est pas une destination touristique. C’est un mythe, un axe, un prétexte pour aller plus loin — ou plus profond. L’album entier agit comme un rituel discret, une série de neuf sortilèges musicaux dont chaque titre est un seuil : Nikkal, Oreste, La Plainte de Tecmesse… On écoute, et on marche à reculons dans l’Histoire, les pieds dans le sable, les oreilles tendues vers un ailleurs archaïque. OUGARIT n’est pas là pour faire joli : il réinvente la mémoire sonore du monde, en jazzmen-chamanes. Il prouve que l’improvisation peut faire surgir des vérités plus anciennes que la parole. Que l’écoute peut être un acte sacré.
À Way to Hermopolis est une expérience à ressentir : un espace entre les temps, une vibration continue entre les ruines et l’avenir. Il s’adresse à celles et ceux qui savent que la musique ne commence jamais vraiment — elle se poursuit, à travers nous. Et au fond, en fermant les yeux sur Calliope, on se dit que les civilisations ne meurent peut-être pas. Elles se transforment en jazz.
Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !
OUGARIT, c’est la rencontre entre deux musiciens voyageurs du temps : le bassiste Cyrille Marche, passionné d’archéologie sonore, sculpte le grave avec une basse acoustique sur mesure aux cordes de nylon, comme un scaphandre vers les civilisations perdues ; et le saxophoniste Alain Angeli, funambule du souffle, qui convoque quatre saxophones pour faire parler les ruines et danser les fantômes de l’Antiquité.
Ensemble, ils forment un duo jazz unique, nourri d’improvisation, de mémoire et de mystère. OUGARIT ne joue pas des mélodies anciennes : il les réinvente, les traverse, les transmet. Entre papyrus et pulsation, OUGARIT ouvre des fenêtres musicales vers des mondes oubliés, et nous rappelle que le passé a encore des choses à dire.