THE MUSIC LIBERATION FRONT SWEDEN

Watson is in heaven now

Astra Solaria Recordings - mars 2025

Chronique

Au croisement d’un souvenir canin et d’une odyssée sonore d’ampleur galactique, The Music Liberation Front Sweden, collectif insaisissable et brillant basé à Fareham, dans le sud de l’Angleterre, signe avec ‘Watson is in heaven now un album-mémorial aussi intime qu’universel. Ici, la musique n’est plus un simple assemblage de notes : elle devient une crypte sonore, un ciel nocturne constellé d’échos analogiques, de soupirs électroniques et de fragments d’âme.

Pochette de l'album "Watson is in heaven now" par le groupe The Music Liberation Front Sweden

Watson n’était pas un chien comme les autres. Il est devenu, au fil des années, une sorte de mascotte silencieuse, omniprésente, un souffle discret dans l’éther musical de ce disque. Il renifle les micros, couine ses jouets, respire sur les genoux de son maître — et c’est précisément là, dans ces détails bruts et bouleversants, que ‘Watson is in heaven now’ trouve son humanité. Ce n’est pas un hommage posthume, c’est une résurrection. On n’écoute pas cet album : on l’habite. Chaque morceau est un sanctuaire bricolé à la main, une cabane auditive bâtie avec des magnétophones ancestraux, des guitares offertes avec amour, des effets-maison qui débordent des étagères d’un garage habité. À l’image de Fareham, cette ville aux racines d’argile et aux promesses futuristes, l’œuvre mêle le brut et le précieux, l’artisanat et le rêve.

Prenez ‘Watson’s Telescope, ouverture de l’album : le titre s’ouvre comme un volet qu’on entrouvre sur une nuit étoilée. C’est une invitation à regarder vers le ciel avec les yeux d’un chien qui n’a jamais cessé d’aimer. À mi-chemin entre l’ambient lo-fi, la folk déstructurée et l’expérimentation psychédélique, l’album invente une nouvelle langue : celle de l’Anti-Pop. Une langue qui préfère les textures à la mélodie, le vécu à la performance. Puis vient ‘David & Trish Luddite, un trip de 11 minutes qui semble enregistré dans une grange intersidérale, où les machines refusent de mourir. On y entend la fatigue heureuse des synthés analogiques, la tendresse des boucles lo-fi, et toujours ce quelque chose de fragile, presque humain. Une larme sur un circuit imprimé. ‘Microbial physics for the working man’ n’est pas seulement un titre décalé — c’est un manifeste. Une manière de rappeler que même dans les plus petits bruits du quotidien (le frottement d’une semelle, le souffle d’un ventilateur), il y a de la musique à capter, à enregistrer, à honorer. C’est un laboratoire de l’émotion à l’état brut.

L’artiste, membre actif de la constellation Astra Solaria, confesse avoir utilisé des bandes vieilles de 30 ans, avec des bribes venues d’Athènes, de Malmö, de Portsmouth… Chaque source est comme une strate archéologique : une poignée de poussière chargée d’histoires, qu’on souffle délicatement pour en révéler l’éclat. Il y a quelque chose de follement généreux dans cette démarche. La Rickenbacker à 12 cordes, les Moogerfoogers d’un autre temps, les vieux magnétophones familiaux — tout est là, présent, non pas pour épater, mais pour partager. Pour dire : voici d’où je viens. Voici ce que j’ai aimé. Voici ce que j’ai perdu. Et Watson, dans tout cela ? Il est partout. Il est la respiration qui unit les pistes, la présence qui rend l’absent encore plus tangible. Il est cette vibration qui traverse l’album, cette sensation étrange d’entendre un souvenir remuer sous nos pieds.

Il faut enfin parler de Fareham, cette ville-matrice oubliée des circuits musicaux traditionnels. Ce coin du sud de l’Angleterre, connu jadis pour ses briques rouges et aujourd’hui pour ses centres d’appels, devient sous l’égide de The Music Liberation Front Sweden un centre de gravité émotionnelle. C’est le lieu d’où l’on envoie les signaux vers le reste du monde, des cartes postales sonores en provenance d’un autre temps. ‘La Révolution Anti-Pop est là !’, clame l’artiste. Et on le croit. Car ce disque ne cherche ni la gloire ni le buzz. Il cherche quelque chose de plus rare : la vérité dans le bruit, la beauté dans l’imperfection, la tendresse dans les câbles usés.

Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !

A propos de THE MUSIC LIBERATION FRONT SWEDEN

Ni vraiment un groupe, ni tout à fait un collectif : un organisme sonore mutagène, né au début des années 80 et toujours en mouvement. Pensé par un artiste anti-musique d’origine britannique, TMLFS joue avec le temps comme avec la matière. Boucles, jams, field recordings, recyclages obsessionnels : leurs morceaux sont souvent des palimpsestes de vingt ans d’évolution. Ils publient sous mille visages (et autant de noms) sur des labels comme Electronic Watusi Boogaloo, Kindercore (US), Bloody Dolphins (JP), Luddite Tape (UK) ou Static Discs (JP).
Parmi les visages derrière les machines : Gustav Kjellvander, Matias Nihlen, Richard Olson, Patrik Skoog, Lasse Lungberg, et des fantômes sonores comme Damo Suzuki ou Steve Duffield.

À la croisée du krautpop, de l’anti-pop minimale, de la poésie DIY et du fanzine interactif, MLF est une résistance douce aux formats – une sorte de sabotage élégant de la narration musicale. 2025 ? Le groupe est plus actif que jamais. Plusieurs vies, plusieurs labels, mais une même vision : libérer la musique de la musique elle-même.

Photo de l'artiste The Music Liberation Front Sweden

Solénothèque

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